La naissance de la Vierge

Vittore Carpaccio

1504
Bergame, Académie Carrara

La nativité de la bienheureuse vierge Marie extrait de La Légende dorée de Jacques de Voragine, 1266, traduction de l’abbé J.-B. M. Roze La glorieuse Vierge Marie tire son origine de la tribu de Juda et de la race royale de David. Or, saint Mathieu et saint Luc ne donnent pas la généalogie de Marie, mais celle de saint Joseph, qui ;ne fut cependant pour rien dans la conception de J.-C. C’est, diton, la coutume de l’Égypte sainte de ne pas établir la suite de la génération des femmes, mais celle des hommes. Il est très vrai pourtant. que la sainte Vierge descendait de David ; ce qui est évident parce que l’Ecriture atteste en beaucoup d’endroits que J.-C. est issu de la race de David. Mais comme J.-C. est né seulement de la Vierge, il est manifeste que la Vierge elle-même. descend de David par la lignée de Nathan. Car entre autres enfants, David eut deux fils, Nathan et Salomon. De la lignée de Nathan, fils de David, d’après le témoignage de saint Jean Damascène, Lévi engendra Melchi et Panthar, Panthar engendra Barpanthar, et Barpanthar engendra Joachim, et Joachim la Vierge Marie. Par la lignée de Salomon, Nathan eut une femme de laquelle il engendra Jacob. Nathan étant mort, Melchi de la tribu de Nathan, qui fut fils de Lévi, mais frère de Panthar, épousa la femme de Nathan, mère de Jacob, et engendra d’elle Héli. Jacob et Héli étaient donc frères utérins, mais Jacob était de la tribu de Salomon et Héli de celle de Nathan. Or, Héli, de la tribu de Nathan, vint à mourir, et Jacob, son frère, qui était de la tribu de Salomon, se maria avec sa femme, suscita un enfant à son frère et engendra Joseph. Joseph est donc par la nature fils de Jacob ; en descendant de Salomon, et selon la loi ; fils d’Héli qui descend de Nathan. Selon la nature, en effet, le fils qui venait alors au monde était fils de, celui qui l’engendrait, mais selon la loi, il était le fils du défunt. C’est ce que dit le Damascène. Mais, d’après l’Histoire ecclésiastique et le témoignage du vénérable Bède en sa Chronique, comme les généalogies tout entières des Hébreux ainsi que celles des étrangers étaient conservées dans les archives les plus se. crêtes du temple, Hérode les fit toutes briller, dans l’idée de pouvoir se faire passer pour noble, si, les preuves venant à manquer, sa race était crue appartenir à celle d’Israël. Cependant quelques-uns qu’on appelait seigneuriaux, ainsi nommés à cause de leur parenté avec J.-C. et qui étaient des Nazaréens, donnaient des renseignements comme ils le pouvaient sur l’arbre généalogique de J.-C. et cela, en partie d’après la tradition reçue de leurs agents, et en partie d’après les livres qu’ils possédaient chez eux. Or, Joachim épousa une femme, nommée Anne,qui eut une soeur appelée Hismérie. Cette Hismérie donna le jour à Elizabeth et à Eliud. Elizabeth donna le jour à Jean-Baptiste. D’Eliud naquit Eminen, d’Eminen naquit saint Servais, dont le corps est en la ville de Maestricht sur la Meuse, dans l’évêché de Liège. Or, Anne eut, dit-on, trois maris, savoir: Joachim, Cléophas et Salomé. De son premier mari, c’est-à-dire de Joachim, elle eut une fille qui était Marie, la mère de J.-C., qu’elle donna en mariage à Joseph, et Marie engendra et mit au monde Notre-Seigneur J.-C. À la mort de Joachim, elle épousa Cléophé, frère de Joseph, et elle en eut une autre fille qu’elle appela Marie comme la première et qu’elle maria dans la suite avec Alphée. Marie, cette seconde fille, engendra d’Alphée, son mari, quatre fils, qui sont Jacques le mineur, Joseph le juste qui est le même que Barsabas, Simon et Jude. Aune, après la mort de son second mari, en prit un troisième ; c’était Salomé, de qui elle engendra une autre fille qu’elle appela encore Marie et qu’elle maria à Zébédée. Or, cette Marie engendra de ce Zébédée deux fils, savoir: Jacques le majeur et Jean l’évangéliste. C’est ce qui a donné lieu à ces vers : Anna solet dici tres concepisse Marias, Quas genuere viri Joachim, Cleophas, Salomeque. Has duxere viri Joseph, Alphoeus, Zebedoeus. Prima parit Christum, Jacobum secunda minorera, Et Joseph justum peperit cura Simone, Judam, Tertia majorera Jacobum, volucremque Johannem . (Anne mit au monde trois Marie, Leurs pères furent Joachim, Cléophas et Salomé. Elles se marièrent avec Joseph, Alphée et Zébédée. La première conçut J.-C., la seconde, Jacques le mineur, Joseph le juste et Jude avec Simon. La troisième eut pour fils Jacques le majeur et le sublime Jean.) Mais ce qui paraît singulier, c’est que la sainte Vierge ait pu être la cousine d’Elizabeth, comme il a été dit ci-dessus. Il est constant qu’Elizabeth fut la femme de Zacharie, qui était de la tribu de Lévi, et cependant, d’après la loi, chacun devait prendre femme dans sa tribu et dans sa famille, et saint Luc assure qu’elle fut de la tribu d’Aaron. Anne, d’après saint Jérôme, était de Bethléem qui appartenait à là tribu de Juda : mais il faut savoir qu’Aaron lui-même et Joiada, son frère, grands prêtres, prirent femme tous les deux dans la tribu de Juda, ce qui prouve que la tribu sacerdotale et la royale furent toujours unies ensemble par des alliances. Bède dit que cette alliance a pu s’opérer dans des temps postérieurs, en faisant passer les femmes d’une tribu dans l’autre, afin qu’il devînt constant que la bienheureuse vierge Marie, qui descendait de la famille royale, fût alliée avec la tribu sacerdotale. Donc, la sainte Vierge était de l’une et de l’autre tribu tout à la fois : car le Seigneur voulut que ces tribus privilégiées se mêlassent ensemble en raison du mystère par lequel Notre-Seigneur qui devait sortir d’elles, pût s’offrir lui-même pour nous en qualité de roi et de prêtre, afin de gouverner ses fidèles qui combattent dans la milice de cette vie, et afin de les couronner après leur victoire: ce qui est donné à entendre par le nom de Christ, qui signifie oint, parce que, dans l’ancienne loi, il n’y avait que les prêtres, les rois et les prophètes qui fussent oints ; et de là encore nous sommes nommés chrétiens et appelés la race choisie et le sacerdoce royal. Quand on disait que les femmes étaient mariées à des hommes de leur tribu, c’était évidemment afin que le partage des terres ne fût pas détruit. Mais parce que la tribu de Lévi n’avait pas eu de terres à partager comme les autres, les femmes de cette tribu pouvaient se marier avec qui elles voulaient. Pour ce qui est de l’Histoire de la Nativité de la Vierge, saint Jérôme dit, dans son prologue, l’avoir lue dans un opuscule, alors qu’il était assez jeune, mais que ce fut seulement de longues années après que sur la prière qui lui en fut faite il la coucha par écrit de la manière qu’il se rappelait l’avoir lue. Joachim donc, qui était de la Galilée et de la ville de Nazareth, épousa sainte Anne de Bethléem. Tous les deux justes et marchant avec droiture dans l’accomplissement des commandements du Seigneur, faisaient trois parts de leurs biens : l’une affectée au temple et aux personnes employées dans le service du temple ; une seconde donnée aux pèlerins et aux pauvres, une troisième consacrée à leur usage particulier et à celui de leur famille. Pendant vingt ans de mariage, ils n’eurent point d’enfants, et ils firent voeu à Dieu, s’il leur accordait un rejeton, de le consacrer au service du Seigneur. Pour obtenir cette faveur, chaque année, ils allaient à Jérusalem aux trois fêtes principales. Or, à la fête de la Dédicace, Joachim alla à Jérusalem avec ceux de sa tribu, et quand il voulut présenter son offrande, il s’approcha de l’autel avec les, autres. Mais le prêtre, en le voyant, le repoussa avec une grande indignation  ; il lui reprocha sa présomption de s’approcher de l’autel en ajoutant qu’il était inconvenant pour un homme, sous le coup de la malédiction de la loi, de faire des offrandes au Seigneur, qu’il ne devait pas, lui qui était stérile et qui n’avait pas augmenté le peuple de Dieu, se présenter en compagnie de ceux qui n’étaient pas infectés de cette souillure. Alors Joachim tout confus, fut honteux de revenir chez lui, de peur de s’entendre adresser les mêmes reproches par ceux de sa tribu qui avaient ouï les paroles du prêtre. Il se retira donc auprès de ses bergers, et après avoir passé quelque temps avec eux, un jour qu’il était seul, un ange tout resplendissant lui’ apparut et l’avertit de ne pas craindre (il était troublé de cette vision): « Je suis, lui dit-il, un ange du Seigneur envoyé vers vous pour vous annoncer que vos prières ont été exaucées, et que vos aumônes sont montées jusqu’en la. présence de Dieu. J’ai vu votre honte, et j’ai entendu les reproches de stérilité qui vous ont été adressées à tort. Dieu est le vengeur du péché, mais non de la nature, et s’il a fermé le sein d’une femme c’est pour le rendre fécond plus tard d’une manière qui paraisse plus merveilleuse, et pour faire connaître que l’enfant qui naît alors, loin d’être le fruit de la passion, sera un don de Dieu. Sara, la première mère de votre race, n’a-t-elle pas enduré l’opprobre de la stérilité jusqu’à sa quatre-vingt-dixième année? et cependant elle mit au monde Isaac auquel avaient été promises les bénédictions de toutes les nations ? Rachel encore n’a-t-elle pas été longtemps stérile? toutefois elle enfanta Joseph qui fut à la tête de toute l’Égypte. Y eut-il quelqu’un plus fort que Samson et plus saint que Samuel ? tous les deux eurent pourtant des mères stériles. Croyez donc à ma parole et à ces exemples, que les conceptions tardives et les enfantements stériles sont d’ordinaire plus merveilleux. Eh bien ! Anne, Votre femme, vous enfantera une fille et vous l’appellerez Marie. Dès son enfance, elle sera, comme vous en avez fait Voeu, consacrée au Seigneur ; dès le sein de sa mère, elle sera remplie du Saint-Esprit  ; elle ne restera point avec le commun du peuple, mais elle demeurera toujours dans le temple du Seigneur, afin d’éviter le moindre mauvais soupçon. Or, de même qu’elle naîtra d’une mère stérile, de même elle deviendra, par un prodige merveilleux, la mère du Fils du Très-haut, qui se nommera Jésus, et qui sera le salut de toutes les nations. Maintenant voici le signe auquel vous reconnaîtrez la vérité de mes paroles  ; quand vous serez arrivé à Jérusalem à la porte Dorée, vous rencontrerez Anne, votre femme ; et en vous voyant elle éprouvera fine joie égale à l’inquiétude qu’elle a ressentie de votre absence prolongée. » Quand fange eut parlé ainsi il quitta Joachim. Or, Anne tout en pleurant dans l’ignorance de l’endroit où était allé son mari, vit lui apparaître le même ange qu’avait vu Joachim  ; et il lui déclara les mêmes choses qu’il avait dites à celui-ci, en ajoutant que, pour marque de la vérité de sa parole, elle allât à Jérusalem, à la porte Dorée où elle rencontrerait son mari qui revenait. D’après l’ordre de l’ange, tous deux vont au-devant l’un de l’autre, enchantés de la vision qu’ils avaient eue, et assurés d’avoir l’enfant qui leur avait été promise. Après avoir adoré le Seigneur, ils revinrent chez eux, attendant joyeusement la réalisation de la promesse divine. Anne conçut donc, enfanta une fille et lui donna le nom de Marie. À l’âge de trois ans, la sainte Vierge fut sevrée, et amenée avec des offrandes au temple du Seigneur. Il y avait autour du temple quinze degrés selon les quinze Psaumes graduels  ; car, le temple était bâti sur une montagne, on ne pouvait arriver à l’autel des holocaustes, qui se trouvait en dehors, qu’en montant ces degrés. Quand la sainte Vierge eut été placée sur le premier de tous, elle les gravit sans le secours de personne, comme si elle fût déjà parvenue à un âge mûr et après l’offrande achevée, ses parents laissèrent leur fille dans le temple avec les autres vierges et revinrent chez eux. La sainte Vierge faisait des progrès incessants dans la sainteté, était visitée chaque jour parles anges et jouissait du bonheur d’avoir tous les jours une vision de Dieu. Saint Jérôme, dans une épître à Chromace et à Héliodore, dit que la sainte Vierge s’était tracé pour règle de passer en prière le temps depuis le matin jusqu’à tierce ; de tierce jusqu’à none elle s’occupait à tisser ; et à partir de none elle ne cessait plus de prier jusqu’au moment, où l’ange, qui lui apparaissait, lui donnât à manger. Quand elle eut atteint l’âge de quatorze ans, le pontife annonça publiquement que les vierges élevées dans le temple, qui avaient accompli leur temps, eussent à retourner chez elles, afin de se marier selon la loi. Toutes ayant obéi, seule la sainte Vierge Marie répondit qu’elle ne pouvait le faire, d’abord parce que ses parents l’avaient consacrée au service du Seigneur, ensuite parce qu’elle lui avait voué sa virginité. Alors le Pontife fut incertain de ce qu’il avait à faire  ; d’une part, il n’osait aller contre l’Ecriture qui dit: « Accomplissez les vœux que vous avez faits »  ; d’une autre part, il n’osait induire une nouvelle coutume dans les pratiques suivies par la nation. Une fête des Juifs étant sur le point d’arriver  ; il convoqua alors tous les anciens  ; leur avis unanime fut que dans une affaire si délicate, on devait consulter le Seigneur. Or, comme on était en prière et que le Pontife s’était approché pour connaître la volonté de Dieu, à l’instant du lieu de l’oratoire, tout le monde entendit une voix qui disait, que tous ceux de la maison de David qui étant disposés à se marier, ne l’étaient pas encore, apportassent chacun une verge à l’autel, et que celui dont la verge aurait donné des feuilles, et sur le sommet de laquelle, d’après la prophétie d’Isaïe, le Saint-Esprit se reposerait sous la forme d’une colombe, celui-là, sans aucun doute, devait se marier avec la Vierge. Parmi ceux de la maison de David, se trouvait Joseph, qui, jugeant hors de convenance qu’un homme d’un âge avancé comme lui* épousât une personne si jeune,cacha, lui tout seul, sa verge, quand chacun avait apporté la sienne. Il en résulta que rien ne parut de ce qu’avait annoncé la voix divine ; alors le pontife pensa qu’il fallait derechef consulter le Seigneur, lequel répondit que celui-là seul qui n’avait pas apporté sa verge, était celui auquel la Vierge devait être mariée . Joseph ainsi découvert apporta sa verge qui fleurit aussitôt, et, sur le sommet se reposa une colombe venue du ciel. Il parut évident à tous que Joseph devait être uni avec la sainte Vierge. Joseph s’étant donc marié, retourna dans sa ville de Bethléem afin de disposer sa maison et de se procurer ce qui lui était nécessaire pour ses noces. Quant à la Vierge Marie, elle revint chez ses parents à Nazareth avec sept vierges de son âge, nourries du même lait et qu’elle avait reçues de la part du prêtre pour témoigner du miracle. Or, en ce temps-là, l’ange Gabriel lui apparut pendant qu’elle était en prière et lui annonça que le Fils de Dieu devait naître d’elle. […]