txt-monstre-marin-poggio-bracciolini

Le monstre marin

fable extraite des Facetiae de Poggio Bracciolini, publié en 1470
traduit par Pierre des Brandes (XVIIesiècle)

Encore un phénomène
Il est également constant qu’on a exhibé à Ferrare, l’image d’un monstre trouvé dernièrement sur les rivages de la Dalmatie. C’était un homme jusqu’au nombril, et à partir de là, c’était un poisson, dont la partie inférieure se divisait en deux queues. Il avait la barbe longue et deux cornes au-dessus des oreilles, deux gros seins, une large bouche, des mains formées de quatre doigts seulement et allant jusqu’aux aisselles, en outre deux nageoires, comme les poissons, au bas ventre. On racontait aussi de quelle façon il avait été pris. Des femmes lavaient du linge sur le rivage, lorsque le monstre, poussé par la faim, en saisit une par les mains et la tira de toutes ses forces. L’eau était basse, la femme put lutter en poussant de grands cris, pour appeler ses compagnes à son secours. Celles-ci accoururent toutes les cinq et tuèrent, à coups de bâtons et de pierres, le monstre qui ne put s’échapper à cause du peu de profondeur de l’eau. Elles le tirèrent sur le rivage, où sa vue leur causa un grand effroi. Le corps était plus grand et plus gros que celui d’un homme. J’en ai vu limage en bois qu’on avait apportée de Ferrare. Ce qui tendrait à prouver que le monstre avait saisi la femme pour la dévorer, c’est qu’on a constaté qu’un certain nombre d’enfants qui, à différentes époques, étaient allés se baigner sur ce rivage, n’ont jamais plus reparu; d’où l’on a conclu que le monstre les a tous emportés.

source: Erwin Panofsky, La Vie et l’art d\'Albrecht Dürer, Paris, Hazan, 2012