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Ariane, éplorée, recueillie par Bachus

extrait de L’Art d’Aimer, Ovide, 1er siècle, livre I traduction Felix Lemaistre (XIXe siècle) Mais voici que Bacchus appelle son poète ; favorable aux amants, il protège les feux dont il brûla lui-même. Ariane errait éperdue sur les plages désertes de l’île de Naxos, toujours battue des flots de la mer. À peine échappée au sommeil, elle n’était vêtue que d’une tunique flottante ; ses pieds étaient nus, sa blonde chevelure flottait en désordre sur ses épaules, et des torrents de larmes inondaient ses joues : elle redemandait aux flots le cruel Thésée ; les flots restaient sourds à ses cris. Elle criait et pleurait à la fois ; mais (heureux privilège de la beauté !) ses cris et ses pleurs ajoutaient encore à ses charmes. « Le perfide ! disait-elle en se frappant le sein, il me fuit ! que vais-je devenir ? hélas ! quel sera mon sort ? » Elle dit ; et soudain les cymbales et les tambours qu’agitent des mains frénétiques font retentir au loin le rivage. Frappée d’effroi, elle tombe en prononçant quelques mots entrecoupés, et son sang a fui de ses veines glacées. Mais voici venir les Bacchantes échevelées et les Satyres légers, avant-coureurs du dieu des vendanges ; voici le vieux Silène, toujours ivre : suspendu à la crinière de son âne, qui plie sous le faix, il peut à peine se soutenir. Tandis qu’il poursuit les Bacchantes, qui fuient et l’agacent en même temps, et qu’il presse du bâton les flancs du quadrupède aux longues oreilles, l’inhabile cavalier tombe la tête la première. Aussitôt les Satyres de lui crier : « Relevez-vous, père Silène, relevez-vous ! » Cependant, du haut de son char couronné de pampres, le dieu guide avec des rênes d’or les tigres qu’il a domptés. Ariane, en perdant Thésée, a perdu la couleur et la voix : trois fois elle veut fuir, trois fois la crainte enchaîne ses pas ; elle frémit, elle tremble, comme la paille légère ou les roseaux flexibles qu’agite le moindre vent. Mais le dieu : « Bannis, lui dit-il, toute frayeur ; tu retrouves en moi un amant plus tendre, plus fidèle que Thésée : fille de Minos, tu seras l’épouse de Bacchus. Pour récompense je t’offre le ciel ; astre nouveau, ta couronne brillante y servira de guide au pilote incertain.« À ces mots, il s’élance de son char dont les tigres auraient pu effrayer Ariane ; la terre s’incline sous ses pas ; pressant sur son sein la princesse éperdue, il l’enlève. Et comment eût-elle résisté ? un dieu ne peut-il pas tout ce qu’il veut ? Tandis qu’une partie du cortège entonne des chants d’hyménée, et que l’autre crie : Évohé ! Évohé ! le dieu et sa jeune épouse consomment le sacrifice nuptial. Lors donc que tu seras assis à un festin embelli des dons de Bacchus, et qu’une femme aura pris place auprès de toi sur le même lit, prie ce dieu, dont les mystères se célèbrent pendant la nuit, de garantir ton cerveau des vapeurs nuisibles du vin. C’est là que tu pourras, à mots couverts, adresser à ta belle de tendres discours, dont sans peine elle devinera le sens. Une goutte de vin te suffira pour tracer sur la table de doux emblèmes où elle lira la preuve de ton amour. Que tes yeux alors fixés sur ses yeux achèvent de lui dévoiler ta flamme. Sans la parole, le visage a souvent sa voix et son éloquence. Empare-toi le premier de la coupe qu’ont touchée ses lèvres, et du côté où elle a bu, bois après elle. Saisis les mets que ses doigts ont effleurés, et qu’en même temps ta main rencontre la sienne.