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Saint Pierre, Martyr

extrait de La Légende dorée de Jacques de Voragine, 1266,
traduction de Pierre-Gustave Brunet (1843)


Pierre signifie connaissant, ou déchaussant. Pierre peut encore venir de petros, ferme. Par là on comprend les trois privilèges qui distinguèrent saint Pierre: Premièrement, car il fut un prédicateur remarquable, de là la qualité de connaissant: parce qu\'il posséda une connaissance parfaite des Écritures et qu\'il connut dans sa prédication ce qui convenait à chacun. Secondement, il fut vierge très pur; ce qui le fait dire déchaussant, parce qu\'il se déchaussa et se dépouilla les pieds de ses affections de tout amour mortel : de sorte qu\'il fut vierge bon seulement de corps mais de cœur. Troisièmement, il fut martyr glorieux du Seigneur; d\'où le nom de ferme, parce qu\'il supporta constamment le martyre pour la défense de la foi.

Pierre, le nouveau martyr de l’ordre des Prêcheurs, champion distingué de la foi, fut originaire de la cité de Vérone. Tel qu\'une lumière éclatante jaillissant de la fumée, qu\'un lys qui s\'élance des ronces, qu\'une rose vermeille sortant du milieu des épines, il devint. un prédicateur pénétrant quoique né de parents aveuglés par l’erreur: il fit paraître une splendeur virginale de sainteté corporelle et spirituelle, eu sortant d\'une souche corrompue, et du milieu des épines, c\'est-à-dire de ceux qui étaient destinés à l’enfer il s\'éleva pour être un noble martyr. En effet le B. Pierre avait pour parents des infidèles et des hérétiques et il se conserva entièrement pur de leurs erreurs. A l’âge de sept ans, un jour qu\'il revenait de l’école, un oncle hérétique lui demanda ce qu\'il avait appris en classe: Il répondit qu\'il avait appris: «Je crois, en Dieu le père tout-puissant, créateur du ciel et de la terré... Credo in Deum
«Ne dis pas, lui répliqua son oncle, créateur du ciel et de la terre, puisqu\'il n\'est pas le créateur des choses visibles, mais que c\'est le diable qui a créé toutes ces choses que l’on voit.»
Mais l’enfant lui soutenait qu\'il préférait dire comme il avait lu et croire comme il l’avait vu écrit. Alors son oncle s\'efforça de le convaincre par différentes autorités or, l’enfant, qui était rempli du Saint-Esprit, lui rétorqua tous ses arguments, le défit avec ses propres armes et le réduisit au silence. Fort indigné d\'avoir été confondu par un enfant, il alla rapporter au père tout ce qui s\'était passé entre eux, et il persuada à celui-ci de retirer son enfant de l’école:
«Car je crains, ajouta-t-il, que quand ce petit Pierre aura été tout à fait instruit, il ne tourne vers l’Église romaine la prostituée, et qu\'ainsi il ne détruise et confonde notre croyance.»
Semblable à un autre Caïphe, il disait vrai sans le savoir, quand il prophétisait que Pierre devait détruire la perfidie des hérétiques; mais parce que tout est dirigé par la main de Dieu, le père n\'obtempéra pas aux conseils de son frère; il espérait, quand son fils aurait terminé son cours de grammaire, le faire attirer à sa secte par quelque hérésiarque. Mais le saint enfant, qui ne se voyait pas en sûreté en habitant avec des scorpions, renonça au monde et à ses parents pour entrer pur dans l’ordre des frères Prêcheurs. Il v vécut avec une grande ferveur, au rapport du pape Innocent, qui déclare dans une de ses lettres que le bienheureux Pierre, dans son adolescence, pour éviter les prestiges du monde, entra dans l’ordre des frères Prêcheurs. Après y avoir passé près de trente ans, il avait atteint au comble de toutes les vertus. C\'était la foi qui le dirigeait, l’espérance qui le fortifiait, la charité qui l’accompagnait. Il fit tant de progrès pour se rendre capable de défendre la foi dont il était embrasé, que la lutte soutenue par lui avec intrépidité et chaleur pour elle contre ses adversaires, était de tous les jours, et qu\'il consomma ce combat sans interruption jusqu\'au moment où il remporta heureusement la victoire du martyre. Il conserva aussi toujours intacte la virginité de son cœur et de son corps: jamais il ne ressentit les atteintes du péché mortel, comme on en a la preuve par la déclaration fidèle de ses confesseurs et parce qu\'un esclave délicatement nourri est insolent contre son maître, il mortifia sa chair par une frugalité habituelle dans le boire et dans le manger. Pour n\'être pas pris au dépourvu par les attaques ennemies, il consacrait ses instants de loisir à méditer avec assiduité sur les ordonnances pleines de justice de Dieu; en sorte qu\'occupé entièrement à cet exercice salutaire, il n\'avait pas lieu. de se livrer à dés actions défendues et toujours il était en garde contre les malices du démon. Après avoir donné un court, repos à ses membres fatigués, il passait ce qui restait de la nuit à étudier, lire, et à veiller. Il employait le jour aux besoins des âmes, ou à la prédication, ou à entendre les confessions, ou bien à réfuter par de solides raisons les dogmes empoisonnés de l’hérésie; et on a reconnu qu\'il y excellait par un don particulier de la grâce. Sa dévotion était agréable, son humilité douce; son obéissance calme, sa bonté tendre, sa piété compatissante, sa patience inébranlable, sa charité active, sa gravité de mœurs était remarquable en tout. la bonne odeur de ses vertus attirait à lui: il était attaché profondément a la foi, et comme il la pratiquait avec zèle, il en était le champion brûlant. Il l’avait si profondément gravée dans le cœur, et s\'y soumettait de telle sorte que chacune de ses œuvres, chacune de ses, paroles reflétaient cette vertu. Animé du désir de subir la mort pour elle, il est prouvé que ses prières fréquentes et assidues, ses supplications ne tendaient qu\'à obtenir du Seigneur de ne pas, permettre qu\'il quittât la vie autrement qu\'en buvant pour lui le calice du martyre. Il ne fut pas trompé dans son espoir.

La vie de saint Pierre fut illustrée par de nombreux miracles. Un jour, il examinait à Milan un évêque hérétique dont s\'étaient saisis les fidèles. Or, beaucoup d\'évêques, et grand nombre de personnes de la ville se trouvaient là; l’examen s\'étant prolongé fort longtemps et la chaleur excessive accablant tout le monde, l’hérésiarque dit en présence du peuple:
«O méchant Pierre, si tu es aussi saint que le prétend cette foule stupide, pourquoi te laisses-tu mourir de la chaleur et ne pries-tu pas le Seigneur d\'interposer un nuage afin que ce peuple insensé ne succombe pas sous ces feux ardents?»
Pierre lui répondit:
«Si tu veux promettre d\'abjurer ton hérésie et d\'embrasser la foi catholique, je prierai le Seigneur, et il fera ce que tu dis.»
Alors les fauteurs des hérétiques se mirent à crier à l’envi:
«Promets, promets,»«Pour preuve que le vrai Dieu est créateur des choses visibles et invisibles, pour la consolation des fidèles et la confusion des hérétiques, je prie Dieu de faire monter un petit nuage qui vienne s\'interposer entre le soleil et le peuple.»
Après avoir fait le signe de la croix, il obtint ce qu\'il avait demandé: pendant l’espace d\'une grande heure, un léger nuage couvrit le peuple qui se trouva abrité comme sons un pavillon.

— Un homme, nommé Asserbus, qui avait les membres retirés depuis cinq ans, et qu\'on traînait par terre dans un boisseau, fut conduit à saint Pierre, à Milan. Le saint fit sur lui le signe de la croix, et le guérit. — Le pape Innocent rapporte, dans la lettré citée plus haut, quelques miracles opérés par l’entremise du saint. Le fils d\'un noble avait dans le gosier une tumeur d\'une grosseur horrible; elle l’empêchait de parler et de respirer; le bienheureux leva les mains au ciel, et fit le signe de la croix en même temps que le malade s\'était couvert du manteau de saint Pierre; à l’instant il fut guéri. Le même noble, affligé plus tard de violentes convulsions qu\'il craignait devoir lui donner la mort, se fit apporter avec révérence ce même, manteau qu\'il avait conservé depuis lors; il le mit sur sa poitrine, et peu après il vomit un ver qui avait deux têtes et était couvert de poils; sa guérison fut, complète. — Un jeune muet auquel il mit le doigt dans la bouche reçut le bienfait de la parole; sa langue avait été déliée. Ces miracles et bien d\'autres encore furent dus au saint auquel le Seigneur accorda de les opérer, pendant sa vie.

Cependant comme la contagion de l’hérésie multipliait ses ravages toujours croissants dans la province de la Lombardie et dans un grand nombre de villes, le souverain pontife, pour détruire cette peste diabolique, délégua plusieurs inquisiteurs de l’ordre des frères Prêcheurs, dans les différentes parties de la Lombardie. Mais comme à Milan les hérétiques, nombreux et appuyés sur la puissance séculière, avaient recours à une éloquence frauduleuse et à une science diabolique, le souverain pontife, connaissant pertinemment saint Pierre dont le cœur magnanime ne se laissait pas épouvanter par la multitude des ennemis, appréciant en outre la constance de son courage qui le faisait ne pas céder même dans les petites choses à la puissance des adversaires, informé de son éloquence au moyen de laquelle il démasquait avec facilité les ruses des hérétiques, n\'ignorant pas non plus la science pleine et entière dans les choses divines avec laquelle il réfutait par ses raisonnements les paradoxes des hérétiques, l’établit dans Milan et dans son comté comme un champion intrépide de la foi, et, de sa puissance plénière, il l’institua son inquisiteur, comme un guerrier infatigable du Seigneur. Pierre se mit alors à exercer ses fonctions avec soin, recherchant partout les hérétiques auxquels il ne laissait aucun repos: il les confondait tous merveilleusement; les repoussait avec autorité, les convainquait avec adresse, en sorte qu\'ils ne pouvaient résister à la sagesse et à l’Esprit qui parlait par sa bouche. Les hérétiques désolés pensèrent à le faire mourir, dans l’espoir de vivre tranquilles, dès lors qu\'ils seraient débarrassés d\'un persécuteur si puissant. Or, comme ce prédicateur intrépide, qui bientôt allait être un martyr, se dirigeait de Cumes à Milan pour rechercher les hérétiques, il gagna, dans ce trajet, la palme du martyre, ainsi que le pape Innocent l’expose en ces termes:
«En sortant de Cumes, où se trouvait un prieuré de frères de son ordre, pour aller à Milan afin d\'exercer contre les hérétiques les fonctions d\'inquisiteur qui lui avaient été confiées par le Siège apostolique, selon qu\'il l’avait prédit dans une de ses prédications publiques, quelqu\'un d\'entre les hérétiques, gagné par prière et par argent, se jeta avec fureur sur le saint voyageur. C\'était le loup contre l’agneau, le cruel contre l’homme doux, l’impie contre le saint, la fureur contre le calme, la frénésie contre la modestie, le profane contre le saint; il simule une insulte, il éprouve ses forces, il fait des menaces de mort, il assène des coups atroces sur le chef sacré de saint Pierre, il lui fait d\'affreuses blessures; l’épée est toute ruisselante du sang de cet homme vénérable qui ne cherche pas à éviter son ennemi; mais il s\'offre de suite comme une hostie, souffrant en patience les coups redoublés de son bourreau qui le laisse mort sur la place (l’esprit du saint était au ciel), et qui, dans sa fureur sacrilège, redouble ses coups sur le ministre du Seigneur. Cependant le saint ne poussait aucune plainte, aucun murmure; il souffrait tout avec patience, recommandant son esprit au Seigneur en disant:
«In manus tuas... Seigneur, dans vos mains, je remets mon esprit,»
Il commença encore à réciter le symbole de la foi, dont il avait été le hérault jusque-là, ainsi que l’ont rapporté par la suite et le malheureux qui fut pris par les fidèles, et un frère dominicain son compagnon, qui survécut quelques jours aux coups dont il avait été frappé, lui-même. Mais comme le martyr du Seigneur palpitait. encore, le cruel bourreau saisit un poignard et le lui enfonça dans le côté.

Or, au jour de son martyre, il mérita en quelque sorte d\'être confesseur, martyr, prophète, et docteur. Confesseur, en ce qu\'il confessa avec la plus éminente constance la foi de J.-C., au milieu des tourments, et en ce que, ce jour-là même, après avoir fait sa confession comme de coutume, il offrit à Dieu un sacrifice de louange. Martyr, en ce qu\'il versa son sang pour la défense de la foi. Prophète, car il avait alors la fièvre quarte, et comme ses compagnons lui disaient qu\'ils ne pourraient pas arriver jusqu\'à Milan, il répondit:
«Si nous ne pouvons parvenir jusqu\'à la maison de nos frères, nous pourrons recevoir l’hospitalité à Saint-Simplicien.»
Ce qui arriva : car, comme on portait son saint corps, les frères, en raison de la foule extraordinaire de peuple, ne purent le conduire jusqu\'à la maison, mais ils le déposèrent à Saint-Simplicien où il resta cette nuit-là. Docteur, en ce que pendant qu\'il était attaqué, il enseigna encore la vraie foi en récitant à haute voix le symbole de la foi.