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Vertumne déguisé en vieille femme séduit Pomone


extrait du chant 14 des Métamorphoses d’Ovide, 1er siècle après J.-C
traduction de G.T Villenave

Déjà Procas tenait le sceptre sur le mont Palatin. Sous son règne vivait Pomone. Parmi les hamadryades du Latium, aucune ne fut plus habile dans la culture des jardins, aucune ne connut mieux celui des vergers ; et de son art vient le nom qu’elle porte. Elle n’aime ni la chasse dans les forêts, ni la pêche au bord des rivières. Seuls les champs et les arbres, chargés de fruits, peuvent lui plaire. Sa main n’est point armée du javelot : elle porte une faucille recourbée, et tantôt élague des branches inutiles, tantôt émonde des rameaux qui s’étendent trop loin ; tantôt insère, dans l’écorce entrouverte, une tige étrangère, et fait porter à un arbre des fruits qui croissent sur un autre. Elle prévient la soif des plantes, et arrose les filaments recourbés d’une racine amie de l’onde : ce sont là ses plaisirs et ses soins. Elle ignore l’amour, mais craignant la rudesse de l’habitant des champs, elle entoure ses jardins de remparts de verdure, et en défend l’entrée aux hommes qu’elle fuit. Que ne tentèrent point, pour conquérir ses charmes, les satyres, jeunesse folâtre et dansante ; les Pans, dont le pin couronne la tête ; Silvain, toujours jeune dans ses vieilles années ; et le dieu difforme des jardins, qui de sa faux écarte les voleurs ! Vertumne, avec plus d’amour, n’était pas plus heureux. Combien de fois, pour chercher les regards de Pomone, il prit l’habit du rude moissonneur, et courba sa tête sous le poids des gerbes ! Combien de fois, couronné de guirlandes de foin, il offrit l’image du faucheur sortant de la prairie ! Souvent, armé d’un aiguillon, il semblait ramener de la charrue des boeufs au pas tardif; souvent, la serpe en main, on eût dit qu’il venait d’émonder un arbre ou de façonner la vigne. Parfois, chargé d’une échelle, il paraissait aller cueillir des fruits. Tantôt, avec l’épée, c’était un soldat ; tantôt, avec la ligne, c’était un pêcheur. C’est ainsi que, cent fois, changeant de forme, il parvenait à voir Pomone, et à contempler les trésors de sa beauté. Un jour, ayant couvert sa tête d’une coiffe peinte, et entouré ses tempes de cheveux gris, il s’appuie courbé sur un bâton, et sous les traits flétris d’une vieille, pénètre dans les jardins de Pomone. D’abord, il admire la beauté des fruits, et plus encore celle de la nymphe qui les cultive. À la louange succèdent quelques baisers, mais des baisers tels qu’une vieille n’en donna jamais. Il s’assied ensuite sur un tertre que couvre un gazon frais, et regarde les arbres dont les rameaux chargés de fruits plient inclinés vers la terre. Non loin, un ormeau spacieux soutient une vigne où les grappes abondent : il loue l’union de la vigne et de l’ormeau : « Si cet arbre, dit-il, fût resté sans compagne, il ne porterait qu’un feuillage stérile ; et que pourrait-on lui demander de plus ? Si la vigne ne se reposait point attachée à ses bras, elle ramperait sur la terre. Et cependant, peu touchée de cet exemple, vous fuyez l’hymen et ne songez à vous unir à aucun mortel. Et plût au ciel que vous le voulussiez ! Ni la fameuse Hélène, ni cette Hippodamie qui causa la guerre des Lapithes, ni l’épouse d’Ulysse, audacieux avec les timides, n’eussent vu un plus grand nombre de poursuivants. Maintenant même que vous dédaignez, en les fuyant, ceux qui recherchent votre main, mille encore aspirent à vous plaire ; et, dans ce nombre, sont des dieux et des demi-dieux, tous ceux qui ont fixé leur séjour sur les montagnes d’Albe. « Mais, si vous êtes sage, et si vous voulez un hymen heureux, écoutez les conseils d’une vieille qui vous aime plus que tous vos amants, et plus que vous ne pensez : rejetez des flammes vulgaires, et choisissez Vertumne pour époux. Je réponds de sa foi ; car il ne se connaît pas mieux que je ne le connais moi-même. Ce n’est point un volage qui promène ses feux de climat en climat. Il ne se plaît qu’aux lieux où vous êtes. On ne le voit point, tel que l’inconstante foule des amants, s’attacher à la dernière femme qu’il a vue : vous serez son premier et son dernier amour. À vous seule il a consacré son coeur et sa vie. Ajou- tez qu’il est jeune, qu’il a reçu le don de la beauté, et celui de prendre toutes les formes qu’il désire. Ce que vous ordonnerez qu’il soit, et vous pouvez tout ordonner, il le sera. « D’ailleurs, n’aime-t-il pas ce que vous aimez ? Si vous cultivez des fruits, il en a les prémices, et ils lui sont plus doux, offerts de votre main. Mais ce ne sont plus aujourd’hui les fruits cueillis dans vos vergers, ni les plantes que vous cultivez, ni toute autre chose que Vertumne désire : c’est vous-même. Prenez pitié de son amour, et croyez que, présent en ces lieux, c’est lui qui vous implore par ma bouche. Craignez les dieux vengeurs, et la reine d’Idalie, qui punit les cœurs insensibles, et Némésis, qu’on n’offensa jamais impunément. Et, pour vous inspirer plus de crainte, je veux vous raconter, car un long âge m’a beaucoup appris, une histoire connue dans toute la Chypre : elle pourra facilement vous toucher, et vous rendre moins fière.
[...]
Alors le dieu qui sait prendre toutes les formes, et qui venait de parler en vain, se dépouille de sa fausse vieillesse, reprend les grâces du jeune âge, et se montre à la nymphe tel que brille le soleil sortant du sein des nuages qui obscurcissaient son éclat. Il se préparait à employer la force, mais la force n’est plus nécessaire. La beauté du dieu vient de charmer Pomone, et son coeur partage enfin les transports qu’elle inspire.