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Combats de Marsyas et d’Apollon


extrait de L’histoire Universel de Diodore de Sicile, 1er siècle av. J.-C
traduction de l’abbé Terrasson, 1744

Les Phrygiens pourtant revendiquent cette déesse. Ils disent qu\'ils avaient autrefois un roi nommé Méon qui régnait aussi sur la Lydie. Ce prince épousa une femme nommée Dindyme dont il eut une fille. Ne voulant pas l\'élever, il l\'exposa sur le mont Cybèle. Cependant les dieux permirent qu\'elle fût allaitée par des femelles de léopards et d\'autres animaux féroces. Quelques bergères du lieu l\'ayant remarqué enlevèrent cette enfant et l\'appelèrent Cybèle du nom du lieu où elles l\'avaient trouvée. Cette fille devenue grande surpassait ses compagnes non seulement par sa beauté et par sa sagesse mais aussi par son esprit. Car elle inventa une flûte composée de plusieurs tuyaux et ce fut elle qui la première fit entrer dans les choeurs les timbales et les tambours. Elle guérissait par des purifications et par des airs de musique les maladies des enfants et celles des troupeaux. Comme elle avait sauvé plusieurs enfants et qu\'elle en avait souvent entre les bras, elle fut appelée d\'un commun consentement Mère de montagne. Le principal de ses amis était Marsyas Phrygien, homme recommandable par son esprit et par sa tempérance. Il donna des marques de son génie lorsqu\'il inventa la flûte simple qui rendait seule tous les tons de la flûte à plusieurs tuyaux et on jugera de sa chasteté, lorsqu\'on saura qu\'il est mort sans avoir connu les plaisirs de Vénus. Cependant, Cybèle étant parvenue en âge de puberté devint amoureuse d\'un jeune homme du pays appelé d\'abord Atys, et ensuite Papas. Ses parents la reconnurent dans le temps qu\'elle avait eu un commerce secret avec lui et qu\'elle en était devenue grosse. Ils la menèrent sans en rien savoir à la cour du roi son père. Ce prince la crut d\'abord fille mais ayant reconnu le contraire, il fit mourir Atys et les bergères qui avaient trouvé et nourri la fille et il voulut qu\'on laissât leurs corps sans sépulture. Cybèle, transportée d\'amour pour ce jeune homme et affligée de l\'aventure de ses nourrices, devint folle et se mit à courir le pays en pleurant et en battant du tambour. Marsyas ayant pitié de son infortune, à cause de l\'amitié qu\'il lui avait autrefois portée, se mit à la suivre. Ils arrivèrent ensemble chez Bacchus à Nyse et ils y trouvèrent Apollon qui avait acquis une grande réputation par la manière dont il jouait de la lyre. On prétend que Mercure a été l\'inventeur de cet instrument, mais qu\'Apollon est le premier qui en ait joué avec méthode. Marsyas étant entré en dispute avec Apollon touchant l\'art de la musique, ils choisirent les Nysiens pour juges. Apollon joue le premier un air assez simple sur son instrument, mais Marsyas, prenant sa flûte, frappa davantage les auditeurs par la nouveauté du son art, par l\'agrément de son jeu et il leur parut l\'emporter de beaucoup sur son concurrent. Étant convenus entre eux de redonner chacun à leurs juges des preuves de leur habileté, on dit qu\'Apollon accompagna son instrument d\'un air qu\'il chanta et qu\'il surpassa de bien loin le jeu de la flûte seule. Marsyas, indigné, représenta à ses auditeurs qu\'il n\'était pas vaincu dans les règles puisque c\'était de leurs instruments et non de leurs voix qu\'il fallait juger, et qu\'il ne s\'agissait que de savoir laquelle, de la lyre ou de la flûte, l\'emportait sur l\'autre pour la beauté du son ; en un mot, qu\'il était injuste d\'employer deux arts contre un. Apollon répondit qu\'il n\'avait pris aucun avantage sur lui puisque Marsyas se servait de la bouche et des doigts pour faire parler son instrument et qu\'ainsi on le réduisait aux doigt seuls, il fallait que Marsyas s\'y réduisît aussi lui‑même. Les juges trouvèrent qu\'Apollon avait pensé juste et ils ordonnèrent une troisième épreuve. Marsyas fut encore vaincu et Apollon, que ce débat avait aigri, l\'écorcha tout vif. Il s\'en repentit cependant peu de temps après ; contristé de ce qu\'il avait fait, il rompit les cordes de sa lyre et laissa perdre cet art naissant. Les Muses ajoutèrent depuis à cet instrument la corde qu\'on appelle Mésé, Linus celle qu\'on appelle Lichanon, et Orphée et Thamyris celles qu\'on nomme Hypaté et Parhypate. On dit qu\'après qu\'Apollon eut consacré dans l\'antre de Bacchus sa lyre et les flûtes de Marsyas, il devint amoureux de Cybèle et l\'accompagna dans ses courses jusqu\'aux monts Hyperboréens. Vers ce temps‑là les Phrygiens furent affligés par de cruelles maladies et la terre ne produisait plus aucun fruit. Ayant demandé à l\'oracle un secours à leurs maux, on dit qu\'il leur ordonna d\'enterrer le corps d\'Atys et d\'honorer Cybèle comme déesse. Mais comme le corps d\'Atys avait été entièrement consumé par le temps, ils le représentèrent par une figure devant laquelle faisant de grandes lamentations, ils apaisèrent la colère de celui qu\'ils avaient injustement mis à mort, cérémonie qu\'ils ont conservée jusqu\'à présent. Ils instituèrent à l\'honneur de Cybèle des sacrifices annuels sur les mêmes autels qu\'elle avait autrefois élevés. Enfin, ils lui bâtirent un superbe temple dans la ville de Pisununte en Phrygie et ils établirent des fêtes à la solennité desquelles on dit que le roi Midas contribua beaucoup. Au‑dessous de la statue de Cybèle, on mit des lions et des léopards parce qu\'on croit qu\'elle fut allaitée par ces animaux. Voila ce que les Atlantes et les Phrygiens racontent de la mère des dieux.
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