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Salmacis et Hermaphrodite




extrait du chant 3 des Métamorphoses d’Ovide, 1er siècle après J.-C
traduction de G.T Villenave

Apprenez pourquoi Salmacis est une source impure, pourquoi dans ses ondes l’homme s’énerve et s’amollit. On ne peut méconnaître l’effet, j’en vais conter la cause.

Dans les antres du mont Ida fut jadis nourri, par les naïades, un enfant fruit des amours d’Aphrodite et d’Hermès. On pouvait à ses traits facilement reconnaître l’auteur de ses jours ; il tira son nom de tous les deux. À peine avait-il atteint son troisième lustre, il abandonna les monts, berceau de son jeune âge, et loin de l’Ida, il se réjouissait d’errer dans des lieux inconnus, de voir des peuples et des fleuves nouveaux. Un instinct curieux
lui rendait plus légers les travaux, les fatigues du voyage. Il avait parcouru les villes de la Lycie. Il venait de quitter cette contrée pour entrer dans la Carie, lorsqu’à ses yeux se découvre un canal immobile, dont l’onde pure et transparente permet à l’œil d’en pénétrer la profondeur. Ni le roseau des marais, ni l’algue stérile, ni le jonc aigu, n’en souillent le cristal. Cette fontaine est environnée d’une verte ceinture, abordée d’un gazon toujours frais. Une nymphe l’habite ; inhabile aux exercices de Diane, elle ne sait ni tirer de l’arc, ni suivre un cerf à la course ; et c’est la seule des naïades qui soit inconnue à la déesse des forêts.

On raconte que souvent ses sœurs lui disaient :
« Salmacis, prends un javelot, arme-toi d’un carquois, mêle à tes doux loisirs les travaux pénibles de la chasse. »
Mais elle ne prit ni javelot, ni carquois ; elle méprisa la chasse, et n’aima que sa solitude et son oisiveté. Tantôt elle baigne dans des flots purs ses membres délicats ; tantôt avec art elle arrange ses cheveux, ou consulte pour se parer le miroir de son onde. Quelquefois, couvrant son corps d’un tissu transparent, elle se couche sur la feuille légère, ou sur l’herbe tendre. Souvent elle cueille des fleurs ; et peut-être ce dernier soin l’occupait lorsque le jeune Hermaphrodite s’offrit à ses regards. Elle le vit, et l’aima. Elle se hâtait de l’aborder ; mais avant d’arriver à lui, elle arrange sa parure ; elle compose son visage, et son regard, et son maintien. Elle brille enfin de tout l’éclat de ses attraits.
« Bel enfant, lui dit-elle, croirai-je que tu sois un mortel ? es-tu dieu ? Si tu l’es, je vois sans doute l’Amour, ou, si c’est à une mortelle que tu dois le jour, ah ! combien heureuse est ta mère ! combien heureux ton frère et ta sœur, si tu as une sœur ! heureuse encore la nourrice qui t’a donné son sein ! mais heureuse surtout, et mille fois heureuse celle que l’hymen a rendu ta compagne, ou celle que tu trouveras digne de ce bonheur ! Si
ton choix est déjà fait, permets du moins qu’un doux larcin soit le prix de ma flamme ; et si ta main peut encore se donner, oh ! que je sois ton épouse, et comble tous mes vœux ! »

La naïade se tait. Hermaphrodite rougit. Il ignore ce que c’est que l’amour ; mais sa rougeur l’embellit encore, et son visage ressemble à la pomme vermeille, à l’ivoire, qui reçut une teinte de pourpre, au rouge de Phébé, quand l’airain sonore appelle en vain, pour la délivrer, un magique secours.
Souvent la nymphe implore, au moins ces baisers innocents qu’une sœur donne et reçoit d’un frère. Déjà ses mains étendues allaient toucher l’ivoire de son cou :
« Cessez, dit-il, ou je fuis ; et j’abandonne et ces lieux et vous-même ! »
Salmacis a frémi :
« Jeune étranger, répond-elle, je te laisse ; sois libre et maître dans ces lieux ! » À ces mots, elle feint de s’éloigner ; et se glissant sous un épais feuillage, elle plie un genou, s’appuie sur l’autre, regarde, et voit, sans pouvoir être vue.

Se croyant seul et sans témoins, le fils de Mercure et de Vénus joue sur le gazon, va, revient, essaie un pied timide sur une eau riante et tranquille, le plonge ensuite jusqu’au talon ; et bientôt, invité par l’onde tiède et limpide, de son corps délicat il détache le vêtement léger. La nymphe le voit, l’admire, et s’enflamme. Ses yeux étincellent, semblables aux rayons que reflète une glace pure exposée aux feux brillants de l’astre du jour. À peine la nymphe diffère, elle retient à peine ses transports, et déjà éperdue, hors d’elle-même, elle brûle, et ne se contient plus.

Hermaphrodite frappe légèrement son corps de ses mains, et s’élance dans les flots. Il les divise en étendant les bras, et brille dans l’onde limpide comme une statue d’ivoire, comme de jeunes lis brilleraient sous un verre transparent. « Je triomphe, s’écrie la nymphe, il est à moi ! »

À l’instant même, dégagée de sa robe légère, elle est au milieu des flots. Elle saisit Hermaphrodite, qui résiste ; elle ravit des baisers, qu’il dispute ; écarte et retient ses mains ; malgré lui, presse son sein sur son sein ; l’enlace dans ses bras, s’enlace elle-même dans les siens ; rend enfin inutiles tous les efforts qu’il fait pour s’échapper. Tel, emporté vers les cieux par le roi des airs, un serpent, la tête pendante, embarrasse de ses longs anneaux les serres et les ailes étendues de son ennemi ; tel au tronc d’un vieux chêne s’entrelace le lierre tortueux ; tel déployant, resserrant ses réseaux, le polype au fond des mers enveloppe sa proie. Hermaphrodite se débat, et résiste, et refuse. La nymphe s’attache à lui, redouble ses efforts, le presse, et s’écrie :
« Tu te défends en vain, ingrat ! tu n’échapperas pas. Dieux, daignez l’ordonner ainsi ! que rien ne me sépare de lui, que rien ne le détache de moi ! »
Les dieux ont exaucé sa prière. Au même instant, sous une seule tête, les deux corps se sont unis. Tels deux jeunes rameaux, liés l’un à l’autre, croissent sous la même écorce, et ne font qu’une tige. Hermaphrodite et la nymphe ne sont plus ni l’un ni l’autre, et sont les deux ensemble. Ils paraissent avoir les deux sexes et ils n’en ont aucun. Hermaphrodite s’étonne d’avoir perdu dans cette onde limpide son sexe et sa vigueur ; il lève les mains au ciel, et s’écrie :
« Divinités dont je porte le nom, vous, auteurs de mes jours, accordez-moi la grâce que j’implore ! que tous ceux qui viendront après moi se baigner dans ces eaux y perdent la moitié de leur sexe ! »
Mercure et Vénus, touchés de sa prière, daignèrent l’exaucer ; et sur ces eaux répandant une essence inconnue, leur donnèrent la vertu de rendre les sexes indécis.