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Comment le Seigneur prédit sa Passion à sa Mère

extrait de Méditations sur la vie de Jésus-Christ, XIIIe siècle, attribuée à Saint Bonaventure
traduit par Louis Berthaumier (1819-1870)

CHAPITRE LXXII
Nous pouvons placer ici une belle méditation dont cependant l’Écriture ne parle pas. Le mercredi, le Seigneur Jésus étant à table le soir avec ses Disciples en la maison de Marie et de Marthe, et sa Mère prenant aussi son repas avec les autres femmes dans une autre partie de la maison, Madeleine qui servait adressa à Jésus cette prière :
« Maître, souvenez-vous de faire la Pâque avec nous je vous en supplie, ne me refusez pas celle faveur. »
Mais le Seigneur ne voulut en aucune façon consentir à sa demande, et il lui dit que c’était à Jérusalem qu’il ferait la Pâque. Alors elle se retire pleine de douleur, et, versant des larmes amères, elle s’en va trouver la Mère du Sauveur, lui raconte ce qui vient de se passer et la prie d’intervenir elle-même, afin de lui faire faire la Pâque en cet endroit.

Le repas fini, le Seigneur revint à sa Mère, et, s’asseyant avec elle en un lieu à part, ils parlent, s’entretiennent ensemble, et il lui permet de jouir à son aise de sa présence dont elle devra bientôt être privée. Considérez-les assis tous deux et voyez comment notre Souveraine reçoit son Fils avec respect, avec quel amour elle demeure avec lui, et en même temps combien le Seigneur, de son côté, témoigne de respect à sa Mère. Mais, pendant qu’ils s’entretiennent ainsi, voilà que Madeleine vient les trouver, et, s’asseyant à leurs pieds, elle dit :
« Ma Souveraine, tout-à-l’heure j’invitai le Maître à faire la Pâque avec nous, mais il semble décidé à aller la faire à Jérusalem, afin de s’y faire prendre. Je vous en prie, ne le permettez pas. »
Alors Marie s’écrie :
« Je vous en conjure, mon Fils, qu’il n’en soit pas ainsi, mais faisons la Pâque en ce lieu. Vous savez que des embûches sont tendues pour s’emparer de vous. »
Et le Seigneur lui répond :
« Ma Mère bien-aimée, c’est la volonté de mon Père que je fasse la Pâque à Jérusalem, car le temps de la rédemption est arrivé. C’est maintenant que va s’accomplir tout ce qui a été écrit de moi, et que mes ennemis me feront tout

ce qu’ils voudront. »

Or, en l’entendant parler ainsi, elles furent pénétrées d’une douleur profonde, car elles comprirent bien que c’était de sa mort qu’il était question. Sa Mère lui dit donc, ayant à peine la force de proférer une parole :
« Mon Fils, ce que vous venez de m’annoncer m’a remplie de terreur, et je sens mon cœur prêt à m’abandonner. Que votre Père ait soin de vous, car je ne sais plus que dire. Je ne veux point m’opposer à sa volonté ; mais s’il lui plaisait de différer pour le moment, veuillez l’en prier, et faisons ici la Pâque avec nos amis. Il pourra, si tel est son bon vouloir, pourvoir d’une autre manière à la rédemption du monde sains que vous mouriez, car toutes choses lui sont possibles. »

Oh ! s’il vous était donné de voir le Seigneur pleurer en écoutant ces paroles, avec retenue et modération cependant, et Madeleine, comme si elle était ivre de son Maître, donner un large cours à ses larmes et éclater en sanglots, peut-être ne pourriez-vous vous empêcher de pleurer aussi. Pensez en quel état Marie et Madeleine pouvaient être pendant cet entretien. Le Seigneur, pour les consoler, leur dit avec tendresse :
« Ne pleurez pas; vous savez qu’il faut. Que j’obéisse à mon Père; mais tenez pour assuré que bientôt je reviendrai à vous, et que le troisième jour je ressusciterai. Je ferai donc la Cène sur la montagne de Sion, selon la volonté de mon Père. »
Alors Madeleine reprit :
« Puisque nous ne pouvons le retenir ici, allons aussi, nous autres, dans notre maison de Jérusalem; mais je crois qu’il ne s’est jamais rencontré une Pâque aussi amère. »
Le Seigneur consentit à ce qu’elles fissent la Pâque dans cette maison.