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De la pluralité des personnes divines


extrait de la Somme théologique de Thomas d’Aquin, 1273, première partie, question XXX
traduction de l’abbé Drioux (1851)

Article 2 : Y a-t-il en Dieu plus de trois personnes ?

Objection N°1. Il semble qu’en Dieu il y ait plus de trois personnes. Car la pluralité des personnes est en raison de la pluralité des propriétés relatives, comme nous l’avons dit dans l’article précédent. Or, comme nous l’avons vu (quest. 28, art. 4), il y a en Dieu quatre relations, la paternité, la filiation, la spiration, et la procession. Donc il y a quatre personnes.

Réponse à l’objection N°1 : Quoiqu’il y ait quatre relations en Dieu, cependant l’une d’elles, la spiration, n’est pas séparée de la personne du Père et de la personne du Fils, mais elle leur est commune. Et bien que ce soit une relation, on ne dit pas que c’est une propriété, parce qu’elle ne convient pas exclusivement à une seule personne. Ce n’est pas non plus une relation personnelle, c’est-à-dire une relation qui constitue une personne. Mais la paternité, la filiation et la procession sont appelées des propriétés personnelles, c’est-à-dire des propriétés qui constituent des personnes. Car la paternité est la personne du Père, la filiation la personne du Fils, la procession la personne du Saint-Esprit.

Objection N°2. La nature ne diffère pas plus de la volonté en Dieu que de l’intelligence. Or, dans la Trinité autre est la personne qui procède de la volonté comme l’amour, et autre celle qui procède de la nature, comme le Fils. Donc autre est la personne qui procède de l’intelligence comme le Verbe et autre celle qui procède de la nature comme le Fils. Il suit donc de là qu’il n’y a pas seulement trois personnes en Dieu.

Réponse à l’objection N°2 : Ce qui procède de l’intelligence, comme le Verbe, procède par manière de ressemblance comme ce qui procède de la nature. C’est ce qui nous a fait dire (quest. 27, art. 3) que la procession du Verbe divin est la génération telle que la nature la produit. Mais l’amour ne procède pas comme étant la ressemblance du principe dont il procède, quoiqu’en Dieu l’amour soit coessentiel en tant qu’attribut divin. C’est pourquoi on ne donne pas à la procession de l’amour le nom de génération.

Objection N°3. Dans les créatures, plus l’être est noble et plus il a de facultés intrinsèquement agissantes ; ainsi l’homme a de plus que les animaux l’intelligence et la volonté. Or, Dieu surpasse infiniment toute créature. Donc il n’y a pas seulement en lui une personne qui procède de la volonté et une personne qui procède de l’intelligence, mais il y a encore une infinité de personnes procédant d une infinité d’autres manières. Donc il y a en Dieu un nombre infini de personnes.

Réponse à l’objection N°3 : L’homme étant plus parfait que les animaux, a plus de facultés qu’eux intrinsèquement agissantes, parce que sa perfection est celle d’un être composé. De là vient que dans les anges, qui sont plus parfaits et plus simples que l’homme, il y a moins de facultés intrinsèquement agissantes, parce qu’il n’y a en eux ni l’imagination, ni la sensibilité, ni d’autres facultés semblables. Or, en Dieu il n’y a en réalité qu’une seule opération qui est son essence. Mais nous avons montré (quest. 27, art. 1 et 4) comment il y a en lui deux processions.

Objection N°4. Il est de la bonté infinie du Père de se communiquer infiniment en produisant une personne divine. Or, l’Esprit-Saint a également une bonté infinie. Donc il produit aussi une personne divine, celle-ci en produit une autre, et cela à l’infini.

Réponse à l’objection N°4 : Cette raison aurait de la valeur si l’Esprit-Saint avait une bonté numériquement autre que celle du Père ; car il faudrait dans ce cas que, comme le Père produit par sa bonté une personne divine, le Saint-Esprit en produisît une au même titre. Mais la bonté du Père est identique à celle du Saint-Esprit. Car il n’y a de distinction en Dieu que celle qu’établissent les relations des personnes. Par conséquent, la bonté convient au Saint-Esprit, suivant qu’il l’a reçue d’un autre, et elle convient au Père suivant qu’il la communique. Or, l’opposition de relation ne permet pas que la relation du Saint-Esprit soit compatible avec une relation qui en ferait le principe d’une autre personne, parce que le Saint-Esprit procède lui-même des autres personnes qui peuvent exister en Dieu.

Objection N°5. Tout ce qui est compris sous un nombre déterminé est mesuré ; car le nombre est une mesure. Or, les personnes divines sont immenses, comme le dit saint Athanase ; le Père est immense, le Fils immense, le Saint-Esprit immense. Donc elles ne sont pas comprises sous le nombre ternaire.

Réponse à l’objection N°5 : Un nombre déterminé (si on entend un nombre abstrait qui n’existe que dans l’entendement) a en effet l’unité pour mesure. Mais si on entend le nombre des choses qui existent dans les personnes divines, elles ne sont pas commensurables, parce que, comme nous le prouverons (quest. 42, art. 1 et 4), les trois personnes ont la même grandeur, et un être ne peut être sa mesure à lui-même.

Mais c’est le contraire. Car, dit saint Jean : Il y en a trois qui rendent témoignage au ciel, le Père, le Verbe et l’Esprit-Saint (1 Jean, 5, 7). Et quand on demande : Qu’est-ce que ces trois qui rendent témoignage ? On répond : Trois personnes, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 7, chap. 4). Donc il n’y a en Dieu que trois personnes.

Conclusion Il n’y a en Dieu que trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Il faut répondre que d’après ce que nous avons dit précédemment (art. préc. et quest. 29, art. 4), il est nécessaire d’admettre qu’il n’y a en Dieu que trois personnes. Car nous venons de prouver qu’il y a plusieurs personnes en Dieu, parce qu’il y a plusieurs relations subsistantes réellement distinctes les unes des autres. Or, il n’y a de distinction réelle entre les relations divines qu’autant que ces relations sont opposées. Donc il faut que deux relations opposées appartiennent à deux personnes, et que quand les relations ne sont pas opposées, elles appartiennent à la même. Ainsi la paternité et la filiation étant des relations opposées, elles appartiennent nécessairement à deux personnes. Donc la paternité subsistante est la personne du Père, et la filiation subsistante est la personne du Fils. — Il y a encore deux autres relations qui ne sont pas opposées à celles-ci, mais opposées entre elles. Elles ne peuvent donc appartenir toutes les deux à une seule personne. Il faut dès lors que l’une d’elles convienne aux deux personnes que nous venons de nommer, c’est-à-dire au Père et au Fils, ou que l’une appartienne à l’un et l’autre à l’autre. Or, la procession ne peut convenir au Père et au Fils, ni à l’un des deux, puisqu’alors la procession de l’intelligence, qui est une vraie génération divine, établissant paternité et filiation, résulterait de la procession d’amour, selon laquelle s’effectuent la spiration et la procession. Ainsi la personne du Père qui engendre et celle du Fils qui est engendré procéderaient de la personne qui spire ; ce qui est opposé à ce que nous avons dit (quest. 27, art. 3 et 4). Il faut donc que la spiration appartienne au Père et au Fils, puisque cette relation n’est opposée ni à la paternité, ni à la filiation (Par conséquent, il faut que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils.), et que par conséquent la procession appartienne à une personne autre que ces deux-ci, c’est-à-dire à la personne du Saint-Esprit qui procède de l’amour. Nous pouvons donc conclure qu’il n’y a que trois personnes dans la Trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit (Quoique cette explication ne soit qu’un système, cependant elle rend si parfaitement compte du dogme, qu’il serait difficile de ne pas l’admettre.).

source : François Bœspflug, La Trinité dans l\'art d\'Occident, 1400-1460, Presses universitaires de Strasbourg, 2000