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Le jeune observateur des Dionysies


extrait du livre V de La République de Platon, -372
traduction de Émile Chambry (1864-1951)

[...] 475 vous vous accordez toutes les façons de dire, qui vous permettent de ne rejeter aucun de ceux qui sont à la fleur de l’âge,
— Si tu veux me prendre comme exemple, dit-il, pour parler des hommes voués à l’amour, et dire que c’est ainsi qu’ils agissent, j’acquiesce, pour faire avancer l’argument.
— Mais voyons, dis-je. Ceux qui aiment le vin, ne vois-tu pas qu’ils font la même chose ? qu’ils ont de la tendresse pour n’importe quel vin, sous n’importe quel prétexte ?
— Si, certainement.
— Et quant à ceux qui aiment les honneurs, à ce que je crois, tu peux constater que quand ils n’arrivent pas à devenir stratèges, ils prennent la direction d’un tiers de tribu , et que quand ils n’arrivent pas à se faire honorer par des gens importants et plus respectables, ils se contentent d’être honorés par des gens de peu et plus médiocres, car c’est des honneurs en général qu’ils sont avides.
— Oui, parfaitement.
— Alors dis-moi si ceci est confirmé, ou non : celui que nous disons adonné au désir de quelque chose, déclarerons-nous qu’il désire tout ce qui est de cette espèce, ou qu’il désire tel aspect, et pas tel autre ?
— Qu’il désire tout, dit-il.
— Par conséquent le philosophe aussi, nous affirmerons qu’il est épris de la sagesse, non pas de tel aspect plutôt que de tel autre, mais d’elle tout entière ?
— Oui, c’est vrai.
— Par conséquent celui qui a du mal à acquérir les connaissances, surtout s’il est jeune et ne se rend pas encore compte de la différence entre ce qui est valable et ce qui ne l’est pas, nous affirmerons qu’il n’est pas ami du savoir ni philosophe, de la même façon que celui qui est difficile en matière de nourriture, nous affirmerons qu’il n’a pas faim, qu’il ne désire pas d’aliments, qu’il n’est pas ami des aliments, mais que c’est un mauvais mangeur.
— Et nous aurons bien raison de l’affirmer.
— Mais celui qui consent volontiers à goûter à tout savoir, qui se porte gaiement vers l’étude, et qui est insatiable, celui-là nous proclamerons qu’il est légitimement philosophe. N’est-ce pas ?
Alors Glaucon dit :
— Tu en auras alors beaucoup, et de bien étranges. Car tous ceux qui aiment les spectacles, s’ils sont tels, à mon avis, c’est parce qu’ils ont plaisir à apprendre ; quant à ceux qui aiment écouter, ce sont sans doute les plus étranges à placer parmi les philosophes. Car certainement ils ne consentiraient pas volontiers à assister à des discours et à une discussion telle que la nôtre, mais ils ont pour ainsi dire loué leurs oreilles, et courent en tous sens lors des Dionysies pour aller écouter tous les chœurs, ne manquant ni les Dionysies des cités ni celles des campagnes. Alors tous ceux-là, et d’autres qui se consacrent à la connaissance de e ce genre de choses, avec ceux qui se consacrent aux arts inférieurs, allons-nous proclamer qu’ils sont philosophes ?
Nullement, dis-je, mais semblables à des philosophes.
— Et les philosophes véritables, dit-il, quels sont-ils, selon toi ?
— Ceux, dis-je, qui aiment le spectacle de la vérité.

Source: Edgar Wind, Dürer\'s \"Männerbad\" a Dionysian Mystery, 1939, in Journal of the Warburg Institute Vol. 2, No. 3