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Néron contemple le cadavre de sa mère

extrait des Vies des douze Césars de Suétone traduction Théophile Baudement (1845) XXXIV. Sa mère, en observant ses actions et ses paroles, et en le reprenant parfois avec amertume, ne tarda pas à lui peser. Il feignit d’abord, pour la rendre odieuse, de vouloir abdiquer l’empire et s’en aller à Rhodes. Ensuite il lui ôta tous ses honneurs et toute sa puissance#8239;; il lui retira ses soldats et sa garde germaine#8239;; il la bannit de sa présence, et enfin de son palais. Il n’est pas de vexations qu’il ne lui fit endurer par ses agents, qui, lorsqu’elle était à Rome, lui suscitaient une foule de procès, et, quand elle se retirait à la campagne, passaient devant sa demeure, en voiture ou par mer, en l’accablant d’injures et de railleries. Mais, effrayé de ses menaces et de sa violence, il résolut de la perdre. Trois fois il essaya du poison, et il vit qu’elle s’était munie d’antidotes. Alors il fit cacher dans sa chambre, au-dessus de son lit, des poutres que le ressort d’une machine devait faire tomber sur elle pendant son sommeil#8239;; mais l’indiscrétion de ses complices fit avorter ce projet. Il imagina enfin un navire à soupape, construit de manière à ce qu’elle pérît noyée ou écrasée dans sa chambre. Il feignit donc une réconciliation, et l’invita, par une lettre des plus tendres, à venir à Baies célébrer avec lui les fêtes de Minerve. Il eut soin de prolonger le festin, pour donner aux commandants des navires le temps de briser, comme par un choc fortuit, ainsi qu’ils en avaient l’ordre, la galère liburnienne qui l’avait amenée#8239;; et quand elle voulut s’en retourner à Baules, il lui offrit, au lieu de sa galère avariée, le vaisseau construit pour sa perte. Il l’accompagna gaîment jusqu’au navire, lui baisa même le bout des seins en la quittant, et veilla une partie de la nuit, attendant avec anxiété le résultat de cette machination. Quand il apprit comment tout s’était passé, et qu’Agrippine s’était échappée à la nage, il ne sut plus que faire. Bientôt L. Agérinus, affranchi de sa mère, étant accouru, tout joyeux, lui annoncer qu’elle était sauvée, il jeta près de lui un poignard sans qu’il s’en aperçût, et il ordonna de le saisir et de le garrotter, comme un assassin envoyé par elle#8239;; puis il fit tuer sa mère, et dit qu’elle s’était donné la mort, en voyant ce crime découvert. On ajoute des circonstances atroces, et l’on en cite des garants#8239;: qu’il courut voir le cadavre#8239;; qu’il le toucha partout#8239;; qu’il loua quelques formes, qu’il en critiqua d’autres, et que, se sentant soif pendant cet examen, il se fit donner à boire. Mais, malgré les félicitations de l’armée, du sénat et du peuple, il ne put échapper à sa conscience#8239;; le supplice, aussitôt commencé, ne finit plus, et il avoua souvent que l’image de sa mère le poursuivait partout, et que les Furies agitaient devant lui leurs fouets vengeurs et leurs torches ardentes. Il essaya de fléchir et d’apaiser ses mânes par un sacrifice magique. Dans son voyage en Grèce, il n’osa pas se faire initier aux mystères d’Eleusis, effrayé par la voix du héraut, qui en défend l’accès aux criminels et aux impies. A ce parricide, Néron joignit le meurtre de sa tante. Elle était malade d’une irritation d’entrailles#8239;; il alla la voir. Par une familiarité ordinaire aux personnes âgées, elle lui passa sur la barbe une main caressante, en disant#8239;: «#8239;Quand j’aurai vu tomber cette barbe, j’aurai assez vécu». Néron dit, comme en plaisantant, à ceux qui étaient là, qu’il allait se la faire abattre sur-le-champ, et il ordonna aux médecins de purger violemment la malade. Elle n’avait pas les yeux fermés, qu’il s’empara de ses biens, et, pour n’en rien perdre, il supprima son testament.