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Persée & Andromède




Les Métamorphoses d’Ovide, 1er siècle, extrait du chant 4
traduction de G.T Villenave

Cependant Éole avait renfermé les vents dans leur prison éternelle. L’étoile brillante du matin, déjà levée dans les cieux, avertissait les humains de recommencer leurs travaux. Persée reprend ses ailes, les attache à ses pieds, s’arme d’un fer recourbé, et s’élance dans les airs, qu’il frappe et fend d’un vol rapide. Il a déjà laissé derrière lui d’innombrables contrées et cent peuples divers, lorsqu’il abaisse ses regards sur les champs d’Éthiopie, sur les états où règne Céphée.

Là, par l’injuste oracle d’Ammon, Andromède expiait les superbes discours de sa mère. Persée la voit attachée sur un rocher, et, sans ses cheveux qu’agite le Zéphyr, sans les pleurs qui mouillent son visage, il l’eût prise pour un marbre qu’avait travaillé le ciseau. Atteint d’un feu nouveau, il admire ; et, séduit par les charmes qu’il aperçoit, il oublie presque l’usage de ses ailes. Il s’arrête, et descend :
« Ô vous, dit-il, qui ne méritez pas de porter de pareilles chaînes ; vous que l’amour a formée pour de plus doux liens, apprenez-moi, de grâce, votre nom, celui de ces contrées, et pourquoi vos bras sont chargés d’indignes fers ! »

Elle se tait : vierge, elle n’ose regarder un homme, elle n’ose lui parler. Elle eût même, si ses mains avaient été libres, caché son visage de ses mains. Du moins elle pouvait pleurer ; ses yeux se remplirent de larmes ; et comme Persée la pressait de répondre, craignant enfin qu’il n’imputât son silence à la honte qui naît du crime, elle lui dit son nom, celui de son pays, et combien sa mère avait été vaine de sa beauté. Elle parlait encore : l’onde écume et retentit ; un monstre horrible s’élève, s’avance sur l’immense océan, et fait, sous ses vastes flancs, gémir de vastes ondes.

Andromède s’écrie ; son père affligé, sa mère criminelle, étaient présents à ce spectacle affreux. Tous deux malheureux, ils ne sont pas également coupables. Trop faibles pour secourir leur fille, ils ne font entendre que des plaintes stériles ; ils ne peuvent que pleurer, qu’embrasser leur fille attachée au rocher.

« Vous aurez, dit le héros, assez de temps pour répandre des larmes ; mais nous n’avons qu’un instant pour la sauver. Si je m’offrais pour votre gendre, moi, Persée, fils de Jupiter et de Danaé, qui, renfermée dans une tour, devint féconde au milieu d’une pluie d’or ; moi, Persée, vainqueur de la Gorgone à la tête hérissée de serpents ; moi, qui, soutenu sur des ailes légères, ose m’élancer dans les airs, vous me préféreriez sans doute à tous mes rivaux ; mais je veux, si les dieux me secondent, joindre à tant de titres, pour obtenir Andromède, celui de la mériter. Que, sauvée par mon courage, elle soit à moi : telle est ma condition. »

Céphée et Cassiopée l’acceptent (et comment la refuser !). Ils pressent, ils conjurent le héros, et lui promettent leur fille pour épouse, et le royaume pour dot.

Tel qu’un vaisseau à la proue aiguë, cédant aux efforts de rameurs ardents, sillonne et fend l’onde écumante, le monstre approche, divisant les flots qui résistent ; et déjà le jet d’une fronde eût mesuré l’espace qui le sépare du rivage. Soudain, frappant de ses pieds la terre, qu’il semble repousser, le héros impétueux s’élance au haut des airs ; son ombre réfléchie voltigeait sur les eaux ; le monstre voit cette ombre et la combat. Tel que l’oiseau de Jupiter apercevant dans les guérets un serpent qui expose son dos livide aux ardeurs du soleil, l’attaque par derrière, pour éviter son dard cruel, et enfonce ses serres dans son col écaillé ; tel Persée vole, et se précipite, et fond sur le dos du monstre, et plonge tout entier son fer dans ses flancs.

Le monstre, qu’irrite une large blessure, bondit sur l’onde, ou se cache dans les flots, ou s’agite et se roule tel qu’un sanglier que poursuit une meute aboyante. Le héros, par l’agilité de ses ailes, se dérobe à ses dents avides, et de son glaive recourbé le frappe sans relâche sur son dos hérissé d’écailles, dans ses flancs, et sur sa queue, semblable à celle d’un poisson.

Avec des flots de sang le monstre vomissait l’onde, qui rejaillit sur les ailes du héros ; il les sent s’appesantir, et n’ose plus s’y confier. Il découvre un rocher dont le sommet domine l’onde tranquille, et disparaît quand la tempête agite les mers ; il s’y soutient, et d’une main saisissant la pointe du roc qui s’avance, de l’autre il plonge et replonge son fer dans les flancs du monstre, qui expire sous ses coups redoublés.

Au même instant, le rivage retentit de cris et d’acclamations qui montent jusqu’aux cieux. Céphée et Cassiopée, heureux et pleins de joie, saluent, dans le héros, leur gendre, et le proclament le sauveur de leur maison. Objet et prix de la victoire, Andromède, libre de ses fers, s’avance et vole dans leurs bras.

Le vainqueur purifie ses mains dans l’onde. Il dépose la tête de Méduse ; et pour qu’elle ne soit pas endommagée par le sable du rivage, il lui fait un lit de feuilles et de légers arbustes qui croissent au fond de la mer ; il en couvre la tête de la Gorgone ; et ces tiges nouvellement coupées, vives encore et rem- plies d’une sève spongieuse, éprouvent le pouvoir de cette tête, rougissent et durcissent en la touchant. Les nymphes de l’océan essayèrent de renouveler ce prodige sur d’autres rameaux. La même épreuve obtint le même succès. Elles jetèrent ensuite dans la mer ces tiges, qui devinrent la source féconde du corail. Depuis ce temps cet arbuste conserve la même propriété ; osier tendre et flexible sous l’onde, il durcit à l’air, et n’est plus qu’une pierre.