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La fable des singes danseurs

extrait des œuvres complètes de Lucien de Samosate (né vers 120, mort après 180), traduit par Eugène Talbot (1814-1894) On dit qu’un jour un roi d’Égypte fit apprendre à danser la pyrrhique à des singes, animaux qui imitent aisément les actions des hommes : en un instant, ils furent instruits et prêts à se mettre en danse, revêtus de robes de pourpre et masqués : ce spectacle eut longtemps la vogue, lorsqu’un spectateur pour s’amuser, prit des noix qu’il avait sous sa robe et les jeta au milieu du théâtre : à cette vue, les singes, oubliant la pyrrhique, et se rappelant qu’ils sont singes avant d’être danseurs, déchirent leurs masques, mettent en pièces leurs habits, et se battent pour avoir des noix ; voilà la danse désorganisée et le rire parmi les spectateurs. 37. Telle est la conduite de nos philosophes ; tels sont les gens que j’ai drapés, et je ne cesserai de les démasquer ni de les mettre en scène. Quant à vous et à ceux qui vous ressemblent, car il en est qui suivent sincèrement les préceptes de la Philosophie et qui observent vos lois, loin de moi la folie d’en rien dire d’outrageant ou de blessant ! Mais à quoi bon cette précaution oratoire ? Est-ce que vous avez vécu comme eux ? Ces imposteurs, au contraire, ces ennemis des dieux, je les crois dignes de toute haine. Parlez donc, Pythagore, Platon, Chrysippe, Aristote, dites-moi quel rapport ils peuvent avoir avec vous. Y a-t-il la moindre affinité, la moindre parenté entre vous ? Quelle parité, comme on dit, entre Hercule et un singe ? Parce qu’ils ont la barbe longue, qu’ils se disent philosophes, qu’ils ont la mine renfrognée, est-ce à dire qu’on puisse vous les comparer ? Je les supporterais même, s’ils étaient vrais dans leur imitation ; mais on verra plutôt un vautour imiter un rossignol, qu’eux les philosophes. J’ai fini ce que j’avais à dire pour ma défense ; toi, Vérité, viens témoigner devant les juges que j’ai dit vrai.