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La magicienne Mélissa libère les chevaliers

extrait de Roland furieux de L’Arioste publié en 1516,
traduction Francisque Reynard

CHANT VIII

Oh ! combien d’enchanteresses, combien d’enchanteurs sont parmi nous, que nous ne connaissons pas, et qui, par leur adresse à changer de visage, se sont fait aimer des hommes et des femmes ! Ce n’est pas en évoquant les esprits, ni en observant les étoiles, qu’ils font de tels enchantements ; c’est par la dissimulation, le mensonge et les ruses, qu’ils lient les cœurs d’indissolubles nœuds.

[…]

Avec cette troupe s’en va la désespérée Alcine, et le désir de retrouver Roger la ronge tellement, qu’elle laisse sa ville sans garde aucune.

Elle ne laisse personne à la garde du palais. Cela donne à Mélisse, qui se tenait prête, une grande commodité, une grande facilité pour arracher de ce royaume funeste les malheureux qui y étaient retenus. Elle va, cherchant à son aise de tous côtés, brûlant les images, rompant les charmes, détruisant les nœuds, les caractères magiques et tous les artifices.

Puis, accélérant ses pas à travers la campagne, elle fait revenir à leur forme première les anciens amants d’Alcine qui étaient, en foule nombreuse, changés en fontaines, en bêtes, en arbres, en rochers. Ceux-ci, dès qu’ils furent délivrés, suivirent tous les traces du bon Roger et se réfugièrent chez Logistilla. De là, ils retournèrent chez les Scythes, les Perses, les Grecs et les Indiens.

Mélisse les renvoya dans leur pays, après leur avoir fait promettre d’être désormais moins imprudents. Le duc des Anglais fut le premier qu’elle fit revenir à la forme humaine. Sa parenté avec Bradamante et les prières courtoises dé Roger lui furent très utiles en cette occasion. Outre les prières que Roger avait adressées à Mélisse à ce sujet, il lui avait donné l’anneau pour qu’elle pût mieux lui venir en aide.

C’est donc grâce aux prières de Roger que le paladin fut remis en sa forme première. Mélisse ne crut son œuvre achevée que lorsqu’elle lui eut fait retrouver ses armes, et cette lance d’or qui, du premier coup, jette hors de selle tous ceux qu’elle touche. D’abord à l’Argail, elle appartint ensuite à Astolphe, et l’un et l’autre s’étaient acquis beaucoup d’honneur en France avec elle.

Mélisse retrouva cette lance d’or qu’Alcine avait remisée dans le palais, ainsi que toutes les autres armes qui avaient été enlevées au duc dans cette maison maudite. Puis elle monta le destrier du nécromancien maure et prit en croupe Astolphe. De là, elle se dirigea vers la demeure de Logistilla, où elle arriva une heure avant Roger.