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Descripion d’un bas relief de fontaine

extrait du Discours du songe de Poliphile publié anonymement en 1499
traduction de Jean Martin et Jacques Gohorry (XVIe siècle)

Entre les deux colonnes dedans le quarré estoit entaillée une belle nymphe dormant, estendue sur un drap, partie duquel sembloit amoncelé soubz sa teste, comme s’il luy eust servy d’oreiller. L’autre partie estoit tirée pour couvrir ce que l’honnesteté veult que l’on cache. Elle gisoit sur le costé droict, tenant sa main dessoubz sa joue comme pour en appuyer sa teste. L’autre bras estoit estendu au long de la hanche gauche, jusques au milieu de la cuysse. Des pupillons de ses mammelles (qui semblaient estre d’une pucelle) yssoit de la dextre un filet d’eau fraiche, et de la senestre un d’eau chaulde; qui tumboient en une grand’pierre de porphire, faicte en forme de deux bassins. Devant la fontaine sur un riche pavé, entre les deux bassins, y avoit un petit canal, auquel ces deux eaues s’assembloient sortans des bassins et ainsi meslées faisoient un petit ruisseau de chaleur attrempée convenable à procréer toute verdure. L’eau chaulde sailloit si treshault qu’elle ne pouvoit empescher ceux qui mettoient leur bouche à la mamelle droicte pour la succer, et y boire de l’eau froide.
Ceste figure estoit tant excellentement exprimée que l’image de la déesse Venus, jadis faicte par Praxiteles, ne fut onques si perfectemen taillée. Si est-ce toutesfois que ce bon ouvrier la feit tant belle, qu’il se puis après quelques hommes qui en devindrent amoureux. De sorte que je ne me puis persuader que ceste nymphe eust esté faicte de main d’artiste, mais plustost, que de créature naturelle et vivante, elle eust esté transformée en ceste pierre. Elle avoit les lèvres entr’ouvertes, comme si elle eust voulu reprendre son haleine, dont on luy pouvoit veoir tout le dedans de la bouche quasi jusques au neu de la gorge. Les belles tresses de ses cheveux estoient espandues par undes sur le drap. Elle avoit les cuisses refaictes, les genoux charnuz et un peu retirez contremont, si bien qu’elle monstroit les semelles de ses piedz, tant belles et tant délicates qu’il vous eust prins envie d’y mettre la main pour les chatouiller. Quand au reste du corps, il estoit d’une telle grâce, qu’il eust peu esmouvoir un autre de la mesme matière. Derrière sa teste sourdoit un arbre bien fueillu, abondant en fruict et chargé d’oyselets, qui sembloient chanter et induire les gens à dormir.

Devers les pieds y avoit un satyre comme tout esmeu et enflambé d’amour, estant debout sur ses deux piedz de chèvre, la bouche poinctue joignant à son nez camuz; la barbe fourchue, pendante à deux barbillons, en forme de bouc. Il portoit deux oreilles longues et vellues; l’effigie du visaige quasi humaine, toutesfois tirant sur la chèvre. Il avoit de sa main gauche prins les branches de l’arbre et s’efforçoit de les courber sur la nymphe, pour luy faire plus grand umbrage ; de l’autre main il tiroit le bout d’une courtine attachée aux basses branches de l’arbre ; entre lequel et ce satyre estoient assiz deux jeunes satyreaux enfans, l’un desquelz tenoit un vase et l’autre deux serpens tortillez autour de ses mains. Je ne pourroie assez m’esrnerveiller de la hardiesse et grand patience de l’ouvrier, qui avoit si nettement vuidé l’entre-deux des fueilles percées à jour et les piedz des petitz oyseaux, déliez comme filetz de lin. En la frize de dessoubs estoit esript ce mot :
IIANTΩN TOKAΔI
C’est à dire :
À la mère de toutes choses.