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Le mythe de Prométhée raconté à la Renaissance

extrait de Généalogie des dieux des païens de Boccace, 1375,
traduction contemporaine du latin : Énora Affublon

Prométhée fut le fils de Japet et de la Nymphe Asya son épouse, comme Varron en témoigne dans son origine de la langue latine et bien d’autres après lui. Celui-ci aurait formé, avant les autres, l’homme à partir de la terre au dire d’Ovide :
ou encore écartant de la jeune terre ce qu’il y a peu s’élevait vers son voisin éther il retint la semence du ciel.

Après quoi, la semence de Japet façonna à des flots de pluie ce mélange à l’image, dans une certaine mesure, de tout les dieux.

Horace ajoute dans les Odes cette chose :

Prométhée ajouta au limon primordial artificiel un fragment extrait de toute chose ; il plaça dans notre estomac la déraison du lion etc.

Assurément Claudius dans le Panégyrique sur le quatrième consulat d’Honorius décrit toutefois cette création plus longuement, plus complètement, dans un long passage disant :

apprends que le globe, par rapport à chaque chose en lui est comme Prométhée forgeait nos membres, mélangeant l’éther et choses terrestres, dérobant l’âme pure au père indigné sur l’Olympe et la maintint dans cette prison puis se sauva. Et comme il ne pouvait forger autrement les mortels, il lia deux âmes, la première comme le corps tombe s’il meurt, la seconde, seule, persiste au tombeau et survivante s’élève, fixée au-dessus de la terre dans la tête, au sommet, son ouvrage est de commander et de pourvoir aux actions. La seconde plus basse que le cou, […].

Ce que l’on apprend pour soi, apprends-le pour l’univers. Lorsque, par le mélange de la terre et de l’air, Prométhée façonnait notre corps, il déroba l’immatérielle raison dans le ciel, sa patrie, et l’enchaîna, malgré sa résistance, dans une prison mortelle ; puis, à défaut d’autre moyen pour former l’homme, à cette première âme il en ajouta deux autres. Celles-ci s’affaissent et périssent avec le corps  ; celle-là reste seule, et, survivant au bûcher, re-vole dans le ciel. Il la plaça dans la tête, siège éminent, d’où elle règle les devoirs et préside aux actions : ses esclaves habitent au-dessous d’elle, et, sous ses lois suprêmes, un séjour approprié à leurs fonctions. Il craignit en effet, l’artisan de nos corps, de confondre l’essence céleste avec la matière , et fixa en des endroits divers, à diverses distances, toutes les parties de l’âme. Près du cœur, à la source du sang, dans un espace que la rage enflamme et gonfle, que l’effroi glace et resserre, il plaça la colère, armée de flammes, ardente à nuire, victime de ses transports  ; et, comme elle entraînait tout dans sa fougue, et refusait aux membres tout repos, il imagina le poumon, pour équilibrer la chaleur par l’humidité, et amollir les fibres gonflées. Pour la cupidité, qui toujours demande et ne donne jamais, il la relégua dans le foie et les régions inférieures : monstre qui, ouvrant une large gueule, ne peut assouvir et repaître sa faim. Tantôt en proie aux soucis rongeurs de l’avarice, aux aiguillons brûlants de l’amour, tantôt dans l’allégresse ou la douleur, rassasiée et toujours insatiable, elle renaît plus souvent que l’Hydre abattue par le fer. Le mortel qui pourra calmer ces mouvements tumultueux offrira à la raison un inébranlable sanctuaire.

On dit en effet que Prométhé façonna de l’argile une créature inanimée, admirant son œuvre exceptionnelle Minerve, pour parachever son ouvrage, offrit tout ce que pouvaient ses biens célestes. Cependant il répondit qu’il ne savait pas, à moins de visiter les sphères supérieurs, ce qui lui était nécessaire. Il fut donc élevé au ciel par elle ; où il distingua la flamme donnant la vie. En cachette il apposa un bâton sur la roue de Phébus et par cette flambée il vola du feu et le ramena sur terre. Puis il l’apposa sur la poitrine de l’homme façonné le rendant ainsi animé. Il l’appela Pandore.

Cela fut cause de l’ire des Dieux qui le firent lier par Mercure au Caucase et donnèrent à un vautour (ou un aigle) son foie à dévorer perpétuellement. Il est ainsi décrit par un chant du poète Pythagorien Eschyle souffrant à satiété longuement sur un rocher, le poète affirme que le foie mis en charpie par le bec de l’aigle, se restaurait aussitôt pour être à nouveau écharpé par l’oiseau. Il était ainsi constamment tourmenté.
Au dire de Sapho et Hésiode, à cause de cela les dieux envoyèrent aux hommes la maladie et aux femmes la stérilité. Horace de son côté parle de fièvre et de fébrilité dans ses odes :
le hardi rejeton de Japet subtilisa frauduleusement le feu pour les hommes.
Après qu’ait été volé le feu de la maison du ciel, stérilité et fièvre nouvelle incubèrent la cohorte etc.

Cette fiction voilée, sérénissime roi, ne serait point légère une fois l’écorce ouverte ; beaucoup de choses se trouvent dedans qui demande un vaste discernement et de longs discours, si ils n’étaient présent, la majeure partie serait peu de choses à l’inspiration propices. Je raconterai donc en coupant autant que je puis, de toute manière Dieu prodiguera. Et j’estime avant toute chose voir qui aurait été ce Prométhée. Il est certains qu’il en est deux, comme est double l’homme qu‘il produit.

Le premier est le vrai Dieu tout puissant qui forma le premier homme du limon de la terre, comme Prométhée, ou la Nature des choses, l’aurait fait ; cette dernière produit de la terre sur le modèle de ce fameux premier homme, mais par un autre art que Dieu.

Le second est ce Prométhée, d’où par le passé fut écrit une autre allégorie, conforme au sens simple, qu’on aurait imaginé.
À ce propos Théodoce dit de Prométhé qu’en tant que premier né de Japet, il était destiné à la succession. Sa jeunesse et ses douces études l’amenèrent à renoncer pour Épyméthe son frère mais aussi à ses deux jeunes fils, Deucalion et Yside. Après cela il se rendit en Assyrie pendant longtemps, ayant ouï dire de la venu des Chaldéens il se retira au sommet du Caucase.

De cette longue méditation et expérience il sut saisir le cours des astres, observer l’essence de la foudre et aux raisons de bien des choses. Il revint aux Assyriens et enseigna l’astrologie orientale et la génération de la foudre et les mœurs des hommes civiles que tous ignoraient. Et les mena d’hommes brutes qu’il avait trouvé tout sauvages aux coutumes bestiales au bon citoyen qu’il laissa après lui comme s’il les avait façonné de nouveau.

Les choses ainsi posées voyons qui est cet homme produit, qui comme je l’ai dit plus haut, est double. L’un est naturel, l’autre civilisé, les deux animés toutefois par l’âme raisonnable. Par nature le premier Homme est crée par Dieu du limon de la terre, ce qu’on conté Ovide et Claudius sans être aussi pieux que le sont les Chrétiens. Comme ce Prométhée forma le premier à partir de cette boue il insuffla en celui ci une âme vivante, laquelle j’entends raisonnable, ayant par là-même influences sensitives et végétatives, ce que certains nomment âme ; mais il avait eut un corps naturel. S’il n’avait pas pêché, il aurait été éternel ainsi que l’âme raisonnable qui est la nature divine.
Tous croit que celui ci fut un homme parfait dans tout ses actes terrestres. Mais on ne doit pas estimer qu’à ce titre ce Prométhée mortel fut favorable à l’érudition des choses temporelles. Certainement ceux qui sont le produit de la nature, naissent brut et ignorant, et au fond sans instruction, sont viles, grossiers et bestiales.
Envers quoi s’érige un second Prométhée, un homme instruit qui comme à partir de pierre les crée à nouveaux, doctes et instruit. Par des démonstrations il fait de ces homme naturel des nobles citoyens, à la science honnête et aux vertus distinguées. Il en va donc distinctement, l’un amène la naissance et l’autre améliore l’instruction.

CAP. XLIV.

De Prometheo Japeti filio, qui fecit Pandoram et genuit Ysydem et Deucalionem.
Prometheus Iapeti fuit filius ex Asya nynpha coniuge eius, ut Varro testatur ubi De origine lingue latine, et alii plures. Hunc ante alios omnes formasse hominem ex terra dicit Ovidius: Sive recens tellus seductaque nuper ab alto Ethere cognati retinebat semina celi.

Quam satus Japetho mixtam pluvialibus undis Finxit in effigiem moderantum cuncta deorum. Oratius autem aliquid superaddens dicit in Odis: Fertur Prometheus addere principi Limo coactus particulam undique Desectam insani leonis Vim stomaco apposuit nostro etc. Verum Claudianus in Panegirico IIIIi consulatus Archadii fabricam istam longe plenius omnium longa tamen verborum serie describit dicens: Disce orbis, quod quisque sibi, cum conderet artus Nostros, ethereis miscens terrena Prometheus, Sinceram patri mentem furatus Olympo, Continuit claustris indignantemque retraxit. Et cum non aliter possent mortalia fingi, Adiunxit geminas: ille cum corpore lapse Intereunt, hec sola manet bustoque superstes Evolat; hanc alta capitis fundavit in arce, Mandatricem operum prospecturamque laborum. Illas inferius collo, preceptaque summe Passuras domine, digna statione locavit. Quippe opifex veritus confundere sacra prophanis, Distribuit partes anime, sedemque removit. Iram sanguinei regio sub pectore cordis Protegit imbutam flammis, avidamque nocendi, Precipitemque sui. Rabie succensa tumescit; Contrahitur tepefacta metu, cumque omnia secum Duceret, et requiem membris vesana negaret. Invenit pulmonis opem madideque furenti Prebuit, ut tumide ruerent in mollia fibre. At sibi multa petens nil collatura Cupido, In iecur et tractus imos compulsa recessit. Que velut immanes reserans ut belua rictus, Expleri pascique velit: nunc verbere curas Torquet avaritie, stimulis nunc frangit amorum, Nunc gaudet, nunc mesta dolet satiataque rursus Exoritur, cesaque redit pullulantius ydra etc. Sane his a Servio et Fulgentio superadditur fabula.

Dicunt enim cum Prometheus ex luto finxisset inanimatum hominem, miratam eius eximium opus Minervam eique spopondisse quicquid ex cælestibus bonis vellet in perfectionem operis sui. Qui cum respondisset se nescire, nisi videret que apud Superos sibi essent utilia, ab ea elevatus in celum est; ubi cum cerneret caelestia omnia flammis animata, ut suo etiam operi flammam immitteret, clam ferulam rotis Phebi applicuit, et ea accensa ignem furatus reportavit in terras, et pectusculo ficti hominis applicavit, et sic animatum reddidit eumque Pandora vocavit. Quam ob rem irati dii eum per Mercurium Caucaso alligari fecerunt et vulturi seu aquile iecur eius vel cor dilaniandum perpetuo dederunt; cuius conquestionem in rupe satis longo carmine Eschylus Pictagoreus poeta describit, asserens illi cor ab aquila rostro discerpi, et mox iterum restaurari, ac iterum ab ave laniari, et sic indesinenter vexari. Hominibus autem, ut Saphos et Esyodus dicunt, dii ob hoc morbos et maciem ac mulieres immisere. Oratius autem dicit tantum maciem et febrem, ut in Odis: Audax Japeti genus Ignem mala fraude gentibus intulit. Post ignem etherea domo Subductum macies et nova febrium Incubuit cohors etc. Harum fictionum involucrum, serenissime rex, non erit leve corticem aperire; multa enim insunt longa exquirentia verba, que si non apponantur, erit paucis plurimum ingenii oportunum. Faciam igitur resecans quantum potero, ut prestabit Deus. Et ante omnia videndum puto quis fuerit Prometheus iste. Qui quidem duplex est, sicut duplex est homo qui producitur. Primus autem Deus verus et omnipotens est, qui primus hominem ex limo terre composuit, ut Prometheum fecisse fingunt, seu natura rerum, que ad instar primi reliquos etiam ex terra producit, sed alia arte quam Deus. Secundus est ipse Prometheus, de quo ante quam aliam scribamus allegoriam, secundum simplicem sensum, quis fuerit videndum est. Dicit ergo Theodontius de Prometheo isto legisse, quod cum illi Japeti patris, eo quod natu maior esset, successio deberetur, iuvenis et dulcedine studiorum tractus ultro illam Epymetheo fratri cum duobus parvis filiis, Deucalione et Yside derelictis, in Assyriam abiit et inde, postquam aliquandiu insignes eo evo audisset Caldeos, in verticem Caucasi secessit. Ex quo longa meditatione et experientia percepto astrorum cursu, procuratisque naturis fulminum et rerum plurium causis, ad Assyrios rediit eosque astrologiam docuit et procurationes fulminum, et quod omnino ignorabant civilium hominum mores, egitque adeo, ut quos rudes et omnino silvestres et ritu ferarum viventes invenerat, quasi de novo compositos civiles relinqueret homines. Quibus sic premissis videndum est quis sit productus homo, quem supra dixi duplicem esse. Est enim homo naturalis, et est homo civilis, ambo tamen anima rationali viventes. Naturalis autem homo primus a deo ex limo terre creatus est, de quo et Ovidius et Claudianus intelligunt, esto non adeo religiose, ut christiani faciunt; et cum ex luto illum Prometheus iste primus formasset, insufflavit in eum animam viventem, quam ego rationalem intelligo, et cum hac sensitivam et vegetativam potentias, seu secundum quosdam animas; verum he naturam habuere corpoream, et nisi peccasset homo, fuissent eterne, sicuti et rationalis est, cui divina natura est. Hunc perfectum fuisse hominem circa quoscunque actus terreos credendum est; nec opinari debet quisquam oportunum illi fuisse ad eruditionem temporalium rerum Prometheum aliquem mortalem; verum qui a natura producta sunt, rudes et ignari veniunt, imo ni instruantur, lutei agrestes et belue. Circa quos secundus Prometheus insurgit, id est doctus homo, et eos tanquam lapideos suscipiens quasi de novo creet, docet et instruit, et demonstrationibus suis ex naturalibus hominibus civiles facit, moribus scientia et virtutibus insignes, adeo ut liquido pateat alios produxisse naturam, et alios reformasse doctrinam.

 

 

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