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Le délire mélancolique

extrait du premier manuscrit de De la philosophie occulte de Cornelius Agrippa, 1510
traduction contemporaine de Enora Affublon

Le délire est une illumination de l’âme provoquée par les dieux ou les démons, ainsi que Virgile Nason le chante :

 

Il est un dieu en nous, il est des commerces avec le ciel
Et des séjours de l’éther nous échoit ce noble esprit

C’est elle, par conséquent, qui cause cette fureur que les philosophes disent être dans le corps humain même, l’humeur mélancolique, non pas ceci qu’on appelle la bile noire et qui porte choses horribles et nuisances, dont les attaques, disent les médecins et ceux qui étudie la nature, au-delà de la folie qu’elles provoquent, renforcent les mauvais démons et leur emprise. J’appelle donc humeur mélancolique la bile qu’on dit blanche et naturelle. De fait, Celle ci parfois allume et brûle, enflammant le délire qui, pour nous, mène à la sagesse et la prophétie ; précisément lorsqu’elle conspire avec les influences célestes, en particulier Saturne. Alors quand ce dernier, froid et sec tout comme l’humeur mélancolique qui se répand quotidiennement, se maintient et se renforce, se rendrait étranger par le loisir aux planètes les plus élevées tantôt en révoquant l’âme elle-même de ses devoirs extérieurs et intime, tantôt en influant sans cesse le souffle même du devoir extérieur et intérieur, amène aux sciences élevées et à la prédiction du future.

Ainsi Aristote dans ses Problèmes sur la mélancolie évoque quelques effets : la divine prédiction du futur, comme celle des Sibylles et des Bakides, elle en fait certains poètes comme Marakos de Siracus ; il affirme que chez tout les hommes d’exceptions, dans n’importe quelle domaine de connaissance, surgit bien souvent la mélancolie. Par ailleurs comme pour Aristote, le témoignage de Platon et Démocrite le confirme , certains hommes mélancoliques excellent à tel point dans leur intelligence qu’on les croirait sujet de visions divines plutôt qu’humaines.

Le plus souvent on observe en outre des hommes mélancoliques, grossiers, sots, insensés, comme Hésiode, Ion, Tymnichos de Chalcis, Homère et Lucrèce,qui, pris dans les geôle du délire subit, s’échappent en bon poètes et s’étonnent eux-même de leurs divins chants qu’ils peuvent à peine comprendre. D’où les mot de Platon dans Ion à propos du délire poétique :
on peut dire que la plupart des poètes, laissé à eux-même après avoir été saisi par le délire, ne peuvent plus comprendre ce qu’ils ont écrit ; mais, ils ont tiré de leur fureur de juste œuvres de leur art, comme en juge leurs pairs.

version originale
Furor est illustratio animae diis vel a demonibus proviniens. Unde Nasonis hoc carmen :

 

Est deus in nobis, sunt et comercia celi ;
Sedibus ethereis spiritus ille venit

Huius itaque furoris causam, que intra humanum corpus est, dicunt philosophi esse humorem melancolicum, non quidem illum, qui atra bilis vocatur, qui adeo prava horribilisque res est, ut impetus eius a phisicis ac medicis ultra maniam quam induit, eciam malorum demonum obsessiones affere confirmatur. Humorem igitur dico melancolium, qui candida bilis vocatur et naturalis. Hic enim quando accenditur atque ardet, furorem concitat ad sapientiam nobis vaticiniumque conducentem, maxime quaetenus consentit cum influxu aliquo celesti, precipue Saturni. Hic enim cum ipse sit frigidus atque siccus, qualis est humor melancholicus, ipsum quotidie influit, auget et conservat; preterea cum sit arcane contemplationis auctor ab omni publico negocio alienus ac planetarum altissimus, animam ipsam tum ab externis officiis ad intima semper revocat, tum ab inferioribus ascendere facit, trahendo ad altissima scientiasque ac futurorum presagia largitur.

Unde inquit Aristoteles in libro problamentum ex melancolia quidam facti sunt sicut divini predicentes futura ut Sibille et Bachides, quidam facti sunt poete ut Malanchius Siracusanus; ait pretera omnes viros in quauis scientia prestantes ut plurimum extitisse melancolicos, quod etiam Democritus et Plato cum Aristetele testantur confirmantes nonnullos melancolicos in tantum prestare ingenio, ut divini potius quam humani videantur.

 

Plerunque etiam videmus homines melancolicos rudes, ineptos, insanos, quales legimus extitisse Hesiodum, Jonem, Tymnicum Calcidensen, Homerum et Lucretium, sepe furore subito corripi ac in poetas bonos euadere et miranda quedam diuinaque canere etiam que ipsimet vix intelligant. Unde diuus Plato in Jone, ubi de furore poetico tractat : Plerique, inquit, vates, postquam furoris remissus est impetus, que scripserunt non satis intelligunt, cum tamen recte de singulis artibus in furore tractauerunt, quod singuli harum artifices legendo diiudicant.

 

 

source : Raymond Klibansky, Erwin Panofsky, Fritz Saxl, Saturne et la mélancolie, Gallimard, 1989